Asmodeus ex machina (suite et fin)

Publié le par Jeanne-A Debats

Je dédie la fin de cette nouvelle à une grande dame éponyme de mon héroïne, dont l'intérêt pour moi après tant d'années ne semble pas s'affaiblir, ça réchauffe le coeur !

Je la dédie également à la fédération de rugby de la petite ville de M. qui prit en charge le grem, bien avant l'éducation nationale et souvent ô combien bien mieux.

à vous tous, trinquons  avec le Zombie2  !!

 

Asmodeus ex machina (suite et fin)

(1.3 oz de jus de goyaves, 0.3 oz de liqueur de café, 0.7 oz de liqueur de

1 oz de rhum ambré )  _________________________________________________________________

 

(Previously on Asmodeus ex machina)

Lorsqu’elles se furent un peu remises, Az’ fit le point sur la situation avec une précision toute numérique :

— Là, on est VRAIMENT dans la merde.

 

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(And now....)

 

Hélène ne lui répondit pas : elle profitait de ce moment de calme pour craquer avec dignité, c'est-à-dire qu’elle s’arrangeait pour que ses sanglots restent inaudibles. Puis elle fixa intensément l’obscurité tandis qu’Az’ ronronnait quelque chose sans essayer d’entretenir une conversation dont elle avait bien saisi qu’elle serait unilatérale. Cependant, au bout d’un moment, l'IA tenta :

— C’est rigolo.

Là, Hélène sursauta et ne put s’empêcher de rétorquer :

— Pardon ? Y’a un truc qui m’a échappé ? Ou tu viens vraiment d’affirmer que quelque chose dans ce désastre prête à sourire ?

— Ouais, enfin bon, pour moi, hein ? fit prudemment Az’.

— Je n’en doute pas, grinça sa patronne. Et c’est ?

— Ben… (Az’ hésita un peu.) En fait, il semblerait que je sois la seule IA encore en fonctionnement, alors tous les satellites survivants se sont connectés sur moi.

— Et donc ?

— Euh, je sais pas comment te dire… c’est genre… je suis au sommet de la chaîne alimentaire ? De guppy à requin ? De sous-sous-secrétaire d’État aux instituteurs retraités, je suis devenue Présidente du système ? Tu trouves pas ça... amusant ?

Il y eut un silence pesant qui indiqua sans ambiguïté la réponse d’Hélène. Az’ n’insista pas. Elle proposa :

— Tu veux un peu de lumière ?

Hélène haussa les épaules dans le noir. À tout casser, elle en avait pour deux jours d’oxygène, elle ne voyait pas l’utilité de les passer dans la nuit. L’écran virtuel illumina leur prison de décombres, accrochant des étincelles aux angles de faïence du carrelage pulvérisé.

Un ballet d’étoiles et de planètes traversé de filaments dorés aussitôt disparus s’étendit devant elles. Hélène soupira à la vue des courbes rondes des satellites rutilants aux voiles solaires déployées. L’ennemi avait détruit en priorité l’armement, mais il avait négligé les surveillances diverses, la météo du week-end suivant n’inquiétait plus grand monde.

— C’est tout ce que j’ai en magasin, s’excusa Az’. Les autres banques de données…

Hélène agita la main avec agacement. Elle s’hypnotisait sur l’écran où la danse des drones traçait d’éphémères rosaces à l’échelle du système. Les reflets bleutés accrochaient son regard fixe en y laissant des traînées rousses étonnantes et un peu inquiétantes. Elle pointa un fil d’or qui venait d’apparaître entre deux satellites :

— Qu’est-ce que c’est, ça ?

Il n’était déjà plus là, mais Az’ interpréta correctement la question :

— Une communication. Ils se parlent tous les deux.

— Ils peuvent maintenir ça pendant combien de temps ?

La voix de la patronne s’était imperceptiblement raffermie, Az’ n’en croyait pas ses récepteurs audio.

— Une com’ ? Oh, indéfiniment, il suffit de leur ordonner de se transmettre un truc infini…

— Par exemple ?

— Par exemple ? Euh… la liste des nombres premiers vs les décimales de Pi ? Mais pour quoi faire ?

— Et tu peux le leur demander ? Ils vont le faire ?

— Oui, je viens de te le dire, mais… ?

Hélène agita la main une fois de plus, s’empara du clavier virtuel et commença des calculs dont elle refila la fin à une Az’ sidérée.

— Ça ne marchera jamais ! affirma cette dernière, péremptoire. En tout cas, ça n’a pas fonctionné depuis des siècles...

— Eh bien, y’a intérêt que ça fonctionne cette fois, parce que c’est notre dernière chance. Et pour Eux aussi !

Az’ se lança dans une imitation de gémissement totalement ratée mais envoya tout de même les ordres à travers le béton, l’atmosphère et l’infinité sombre de l’espace...

Les satellites firent part de leur étonnement poli, mais ils obtempérèrent sans barguigner. Le vide s’emplit en quelques nano secondes de milliers de chiffres inutiles pendant que leurs émetteurs se déroutaient jusqu’à l’endroit requis par leur dernière IA. Lentement, mais sûrement, les petits appareils dorés glissèrent à leur place, jusqu'à ce que dans la chambre mortuaire l'écran reproduise fidèlement le dessin qui ornait le ciel désormais.

 

 

Le plus grand pentacle de l’histoire de l’univers s’inscrivit entre les étoiles.

 

Hélène se dressa (manquant de peu de s’assommer contre une poutrelle tordue) et sa voix soudain plus vieille que le plus ancien des anciens lieux sacrés s’éleva dans la petite cavité...

Elle résonna comme un gong de bronze à l’échelle de Jupiter à travers les parois effondrées et les récepteurs spatiaux pour plonger jusqu’au cœur du Monde dans les tréfonds inexplorés les plus inexplorés des régions infernales les plus infernales.

 

Et elle fut entendue.

***

 

 

Le vaisseau alien mit environ dix minutes avant de comprendre que quelque chose l’avait saisi par les ailerons tribord, apparemment sans se soucier du feu des réacteurs quantiques. Puis on le retourna comme une crêpe dans une poêle, et l’œil colossal d’Asmodée fixa le commandant de bord, occultant quasi totalement l'immense baie vitrée du pont principal. La voix titanesque satura tous les coms :

— VOUS AURIEZ DÛ CONTINUER À JOUER À DOMICILE !

Et dans un lancer impeccable qui l’aurait fait admettre sans problème au sein  des All Blacks, Asmodée balança le navire droit entre deux géantes gazeuses vers sa galaxie d’origine, l'accompagnant d'un dernier commentaire vociférant qui fit sauter tous les circuits radio.

— AVANT DE S'AVENTURER EN EXTÉRIEUR, UN BON CAPITAINE SE RENSEIGNE SUR L'ÉQUIPE ADVERSE !

Tandis que les étrangers tournoyaient sans fin vers leur monde lointain, très lointain, le commandant extraterrestre n'osa qu’une timide pensée :

— Équipe ?

Alors, son second lui montra la horde de silhouettes ailées, cornues, velues, ventrues, aux trognes turgescentes,  aux bouches dentées, aux cils interminables, aux trompes colorées, aux seins surnuméraires, aux membres multipliés, aux hanches voluptueuses  et aux sexes triomphants qui se livra à une espèce de danse menaçante et rythmée dont l'essentiel consistait à se frapper torses, bras et cuisses en poussant en chœur de grands cris. Ensuite les monstres se divertirent fort à les bombarder de choses rouges et molles de la taille d’une lune ainsi que de petits cylindres légers, au fond clapotant d’une mousse résiduelle et nauséabonde. Le vaisseau trembla de dégoût lorsque l’une d’entre elles atteignit son objectif et s’écrasa, dégoulinante, direct entre ses senseurs externes.

***

Hélène extirpa Az’ des débris de ciment qui la bloquait encore. Elle observa le sol couvert de pulpe de tomates pourries et de canettes de bière et remarqua pensivement :

— En fait, je ne suis pas sûre de supporter les métaphores sportives. Je crois que ça ne fait pas grand bien à notre inconscient collectif.

Az’ ne répondit pas tout de suite. Elle mesurait une activité sismique souterraine assez intense et bien localisée, très loin sous les pieds de la patronne. Elle finit par soupirer :

— La troisième mi-temps va être diabolique.

 

 

 

 

(The end)

Asmodeus ex machina (suite et fin)

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