LETTRE OUVERTE AUX JOURNALISTES DE LA DEPÊCHE DU MIDI
Mesdames, messieurs les journalistes,
j’ai le plus grand respect pour votre fonction même si j’estime que, souvent, pour une bonne partie d’entre vous, vous n’en êtes pas, ou plus, à la hauteur. Parfois, j’ai l’impression que vous ne vous rendez pas compte, ou que vous oubliez, que vous êtes le Quatrième Pouvoir. Cela ne signifie pas seulement que vous pouvez contrebalancer les grandeurs, les magouilles et les misères de l’exécutif, cela signifie également que votre regard sur la société possède l’incroyable puissance de la changer.
J’écris de la Science-fiction : combien de romans de mon genre favori finissent-ils quand enfin la presse est au courant et met tout en lumière ? Quand le peuple comprend et se révolte, ou décide que cette horreur que vous dénoncez doit cesser ?
Mais nous, en Science-fiction, nous rêvons l’utopie, peut-être…
Cette société, la notre, qui n’est pas une utopie, tue les femmes.
Avec votre complicité, et même votre bénédiction.
Fabienne, assassinée à Auch (32) – préfecture gersoise tranquille où mes fils sont allés à l’école – est la trente-septième femme tuée par son ancien compagnon, cette année. Cet homme avait déjà menacé de mort ses précédentes amies. Il a considéré qu’il avait le droit le plus strict de supprimer celle qu’il croyait infidèle et qui aurait voulu le quitter.
Avec votre bénédiction, je le répète.
Si. J’insiste vraiment, vous le bénissez. Vous l’excusez. « Drame passionnel » et tout est dit. Il suffit de cette une. Vous déclarez à cet instant à l’ensemble de la société qui vous lit : « Oui, ce n’est pas bien de tuer un être humain, mais tout de même le pauvre homme avait des excuses. Elle le trompait peut-être, elle voulait s’en aller. »
Réveillez-vous : c’est un MEURTRE. Rien de moins. L’assassinat sous son angle le plus primitif, celui du patriarche ayant droit de vie ou de mort sur les siens. Cela ne vous gêne pas de perpétuer une vision du monde qui date même d’avant que nous soyons entrés dans les cavernes ?
(Et encore, je doute que les hominidés aient été assez débiles et fous d’un pouvoir dérisoire pour tuer leurs femelles, finalement.)
Je rêve d’un monde où chaque femme pourra choisir un compagnon d’un soir ou d’une vie, sans risquer la sienne.
Mais c’est sans doute de la science-fiction.
Ça le restera, tant que, grâce à vous, mesdames et messieurs les journalistes, le monde, les voisins, et le type lui-même, croiront dur comme fer que le crime « passionnel » est moins qu’un crime.
Pas merci.
Et pas bisou.
Jeanne