Le printemps vert de Barbie
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours détesté les poupées. C’est mon frère qui jouait avec celles qu’immanquablement je recevais à Noël d’une grand-mère optimiste ou plongée dans le déni, la même qui m’offrait des « boîtes de couture » que j’allais aussitôt enterrer au fond du jardin grand-parental, prétextant jouer au trésor du pirate[1].
Toute petite déjà, je voulais le circuit de voitures, l’appareil photo, Chimie 2000, tout ce qui tombait dans l’escarcelle de mon frère sans qu’il ait même besoin de demander. Mes parents n’y étaient pour rien, mais l’entourage a veillé à la distribution genrée des cadeaux dans la fratrie.
Vers 12 ans, j’ai fait une exception pour les poupées Barbies, une exception exceptionnelle, qui ne dura pas. J’avais une amie, elle adorait y jouer. J’ai donc eu ma Barbie offerte par une mère attentive mais dubitative, qui ne voyait pas bien ce qui me prenait d’un coup. J’ai joué avec, je me suis fait chier. J’ai détesté les jambes trop longues, la gueule de niaise absolue dont on imaginait bien qu’elle ne passait pas ses après-midi dans son camion rose à baver devant Isaac Asimov, la taille de crayon maladif et les seins bombés comme s’ils avaient des armatures à l’intérieur. J’ai cessé de jouer avec la copine pour retourner lire et écrire. Parfois, on est mieux seule qu’à ne pas comprendre les gens qu’on aime bien, malgré tout.
Et à leur en vouloir pour ça.
Puis j’ai oublié Barbie, sauf quand mon fils le Gremlin en a voulu une qu’il a longuement habillée, déshabillée, fait ramper dans la boue, sauter des falaises, grimper aux arbres, et se battre contre le chat. Barbie GI Jo, en slip dans la jungle, c’était sa conception d’une vraie poupée. Je me suis dit que je n’avais peut-être pas tout raté[2].
Bon, voilà que Mattel, au motif avoué d’honorer une grande sportive (on reste dans le GI Barbie) nous en fait une voilée.
Hum.
HUM.
Alors on va être claire :
autant je ne dénie pas aux femmes musulmanes le droit imprescriptible de s’habiller entre parasol et Batman, droit qu’aucun rasé à l’intérieur du crâne ne devrait leur dénier non plus (parce que la libération des femmes chez les fachos, ça consiste surtout à leur arracher leurs fringues, faut bien le dire), autant là, je coince.
Et salement.
Parce que oui, si je ne leur dénie pas ce droit intime, si je me battrai pour qu’on fiche la paix à celles qui l’arborent pour leurs propres raisons perso que je n’ai pas à juger, en revanche non, je n’aime pas le voile. Tout ce qu’il symbolise, transporte de vision putride des femmes, instaure de domination de l’homme sur la femme, sans compter les endroits sur la planète où elles n’ont même pas le droit de conduire.
Je défendrai toujours les femmes qui le portent.
Mais l’objet ?
JAMAIS.
La nuance est subtile mais elle est, c’est comme ça.
Allons Mattel, tu veux juste te faire du fric, pas « visibiliser les minorités non plus qu’honorer une grande sportive ». Tu veux te faire du fric, encore plus de fric, il te manque les musulmans, c’est tout. Ken en bleu, Barbie en rose et désormais en vert, Yolololo ! Après le marketing genré, bonjour le marketing religieux !
C’est dégueulasse.
Oh, tu n’es pas tout seul, Dolce et Gabana a fait la même il y a peu. Et donc dans l’espace public laïc occidental apparaissent les représentations de femmes voilées comme légitimes, comme bankables.
Je ne fais pas un dessin hein ? La représentation, c’est la légitimation.
Une putain d'entreprise occidentale légitime le voile.
Et pour moi non, le voile n’est pas légitime, l’excision et la lapidation non plus.
Et le jour où tu nous en sors une avec la tête rasée et une perruque, ou bien en carmélite, (ou en jupe plissée bleue, chemise blanche, mocassins, croix dans le cou) je râlerai tout aussi fort.
Bon, il y a une logique, venant d’une entreprise qui a élevé une anorexique en icône de l’enfance. La bonne santé des filles ne la gêne pas beaucoup.
Pas merci et pas bisou, Mattel.
[1] L’excuse ne passait pas, j’aime autant le vous le dire.
[2] Bien que, depuis, nous ayons été rattrapés par la patrouille : même autiste, même élevé par une hyène de garde on a du mal à échapper aux représentations genrées qui noient l’ensemble du monde, de la langue à l’environnement fictionnel, sans parler du voisin de palier.