Changelin II

Publié le par Jeanne-A Debats

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Certains cris sont devenus des mots. Et l’enfants des fées vous aime, ou a confiance en vous. La différence est ténue, alors vous vous en fichez. Vous pouvez le toucher, l’apaiser parfois d’une caresse, il semble aimer que vous lui chatouilliez le creux de la main, ou cet espace tendre entre les omoplates.


Vous savez que c’est extraordinaire. Ses pareils ne supportent pas souvent le contact, les baisers. Les approcher revient à les torturer. Vous pensez à ces autres parents qui n’ont même pas cela : quand le vôtre vient briser vos genoux en les escaladant comme des montagnes, ou enfonce votre sternum d’un coup de coude, ou saisit la chair à pleines mains comme si vous étiez d’acier ou un meuble.



Parce que c’est plus pratique pour monter.

 

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Lui, quand il tombe, quand il se cogne, quand il se relève, front ou rotules en sang, il ne pleure pas. Il ignore la douleur, le froid, la faim. Un jour, il chute de son lit, il faudra trois points de suture ; il regardera le médecin le recoudre, sans bouger, sans anesthésie, juste curieux.


C’est un enfant de pierre.

 

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Ainsi, un autre jour, il attrape une bronchiolite. Le flapping ne fonctionne pas : il est hypertonique et ça ne date pas d’hier. Impossible de le masser au niveau de la poitrine, chaque muscle est tendu au maximum. Le kiné a beau s’escrimer, il ne peut rien faire. Rouge, en sueur, furieux, il se tourne vers vous et hurle avec colère et dédain, l’insondable dédain des soignants pour les mères, leur méfiance instinctive, comme s’ils avaient affaire à des rivales :


-- Sortez, madame ! Vous l’autorisez à me résister !


Vous vous apprêtez à balbutier que ce n’est pas vrai. Mais c’est l’époque où l’on ne cesse de seriner que tout ce qui arrive est de votre faute, parce qu’il faut bien que vous compreniez que vous n’AIMEZ PAS cet enfant. Oui, cet enfant avec lequel vous passez des heures à lui montrer un geste désespérément simple : comment sourire, tenir un jouet, allumer la lumière, faire des bulles dans le bain, mâcher un bonbon, reconnaitre le rouge du bleu, connaître son nom, y répondre.


Cet enfant-là, sachez-le, vous ne l’AIMEZ PAS.

 


 

 

Alors, vous baissez la tête. Coupable, forcément coupable. Heureusement, le père est là. Il repousse fermement le kiné, prend l’enfant sous son bras et vous, son ex-compagne sous l’autre, il sort calmement, sans rien dire.

Le kiné vous poursuit la facture à la main, le père se retourne comme un serpent et siffle :


-- Dis-toi un truc, connard, si je sors mon chéquier, ce sera pour te l’enfoncer dans le cul !


Le kiné vous laisse partir, tous les trois, béant et blême.


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C’est l’époque où l’on vous a tellement piétinée, crucifiée, méprisée, que vous la guerrière, n’êtes plus qu’une ombre pâle retenant l’enfant de force vive au bord des gouffres.

 

Toute la force qui vous reste.

 



Mais le père n’est pas toujours là. Il a été muté, loin. L’ombre doit se résoudre à porter sa cuirasse quotidienne et vaciller sous son poids dans les rues, de médecins en écoles, de psychomotricien en psychanalyste, d’hôpital en centre de ressources. Votre vie n’est plus qu’une salle d’attente semée d’exemplaires défraîchis de l’autojournal.


Mais chaque jour, à six heures, il est un oasis.

Malgré tout.

 

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C’est un rade minable sur le boulevard d’une ville de banlieue. Il s’appelle l’Escale et son patron Driss est un grand mec jadis brun, aujourd’hui d’un blanc de neige en frisettes. Les pattes d’oies au coin de ses yeux sont deux sourires éternels, plantés de chaque côté de son long visage basané.


Il vous voit arriver avec la poussette et se précipite vers vous.


-- Salut, Madame JAD, allez vous mettre en terrasse ! On vous a gardé votre place,  Momo vient tout de suite !


L’enfant regarde le grand homme se courber sur lui pendant qu’il le détache de sa poussette avant de l’emporter, calé sur sa hanche. Vous vous effondrez à la place susdite. Le garçon, Momo, vous sert un café à la cardamone, brûlant comme l’enfer, sucré comme la vie.


-- Prenez votre temps, Madame JAD, ils jouent.


Vous fermez les yeux pour la première fois de la journée. Les copains entrent et vous saluent au passage. Vos muscles se dénouent. Dans votre dos, des cris et des rires éclatent. Des tintements, parfois un verre brisé. Momo sort, dans ces moments-là, en vous assurant que c’est lui, le coupable. Vous savez qu’il ment, que l’enfant a eu un geste trop brusque ; mais vous acceptez le cadeau de ce mensonge avec une reconnaissance si totale que vous ne levez même pas un sourcil.


Votre café est bu, vous vous relevez et entrez à votre tour dans le café pour régler l’addition, il est temps de retourner à la maison, le soir tombe.


 L’enfant est perché sur les genoux de Driss, sur le haut tabouret de bar derrière le zinc.

 Les mains plongées dans la caisse, il envoie billets et pièces de monnaies aux quatre vents en poussant des cris ravis quand ils retombent en pluie un peu partout. Les clients hurlent de rire en ramassant le butin afin de réalimenter le mini- terroriste en projectiles. Le désastre est total, et la joie générale.


— On en fera pas un capitaliste, madame JAD, conclue sérieusement Driss.



 Vous riez, et cette fois c’est un vrai rire.

 

 

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C
<br /> Et je vous souhaite, ainsi qu'à votre fils, d'en recroiser un (de Momo!) le plus régulièrement possible...<br />
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C
<br /> Merci pour ce texte. C'est beau et juste. Et ça me donne envie de chercher ce café! Ou de prendre le temps de penser aux Momos du monde...<br />
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J
<br /> <br /> Les Momos rendent ce monde supportable :)<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> C'est certain, et je m'en veux toujours de n'avoir pas répondu comme je l'aurais dû à pas mal d'entre eux<br />
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M
<br /> quand le personnel soignant est inhumain, c'est tellement dur!<br /> <br /> <br /> Bravo pour votre courage et merci à driss d'exister!<br />
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J
<br /> <br /> Je n'oublierai jamais Driss, ni non plus quelques soignants qui ont été humains... seulement certains sont si nuisibles qu'on oublie leurs collègues compétents et affables<br /> <br /> <br /> <br />