Éloge de la synergie (en Louboutin) 1
« Sans technique, le talent n’est qu’une sale manie. », disait le regretté Georges Brassens à propos d’autre chose, il ajoutait que vu la hauteur des talons, un souteneur s’avérait bien souvent, hélas, un mâle nécessaire*.
C’est que c’est une tâche ardue que de donner du plaisir aux autres.** Surtout que, de la même manière dans le déduit, la seule chose qu'on connaisse à peu près, c’est ce qui nous fait plaisir à nous, et encore, cela, dans le meilleur des cas, on l’a appris à la dure. ***
Mais pas tout seul.
Car tout ce que la masturbation intellectuelle en solo**** risque de nous apporter, c’est d’être encore plus sourds à notre entourage.*****
Et donc, compte tenu du fait que nos ailes de géants nous empêchent de marcher******, j’avoue que tenter le décollage en talons aiguilles sans personnel au sol est une idée qui ne m’a jamais traversée.
Je garde une reconnaissance fervente à mes nombreux et précieux aiguilleurs du ciel :
Joseph Altairac, Ayerdhal, Karim Berrouka, Sébastien Desbois, Jean-Claude Dunyach, Magali Duez, Anne Fakhouri, Denis Guiot, Menolly, les membres de l’atelier d’écriture du forum de Parchemins et Traverses, Mireille Rivalland, David Skurnick, Emmanuel Tollé et d’autres encore que je ne nommerai pas parce qu’ils préfèrent sans aucun doute oublier ces passages pénibles de leurs vies. Quoi qu’il en soit, et malgré les aléas de la vie et de l’histoire, tous, cités comme anonymes, sachez que vous avez pour toujours une place spéciale dans mes pensées, ne serait-ce qu’à cause de cela.
Bref, tout ça pour dire que le dragon ne s’est pas envolé tout seul, juste bercé par le chant plaintif de son génie naturel, vu que le génie naturel en question possède plein de défauts rédhibitoires, notamment celui de réinventer avec une constance qui force le respect le fil à couper le beurre, l’eau tiède et les nouilles au beurre.*******
J’ai d’abord eu des béta lecteurs.
Le béta lecteur est une sale race, je vous préviens.
Il ne comprend rien à rien, se fait chier à vos passages les plus aboutis ou les plus poétiques (quand il les repère), croit voir une faute de syntaxe dans un tour de force stylistique, traque la virgule comme un épagneul une portée de lièvres, ou au contraire en sème des kilos, tant que vous vous demandez s’il ne les achète pas en gros chez Leroy Merdier, vous fait remarquer que si votre personnage continue à sourire comme ça entre deux répliques d’un dialogue qui dure depuis plus de deux pages et il va nécessairement souffrir de crampes atroces à la troisième, n’a pas les bases culturelles pour comprendre à demi-mot ce que vous insinuez lourdement depuis 70000 signes ou alors il les a tellement qu’il sait dès les cinq cents premiers comment l’histoire doit finir, est allé vérifier le trajet de vos héros dans une carte connue de lui seul et vous démontre par A+B que s’ils étaient passés par là, ils auraient été dévorés par une portée de blattes géantes ou arrêtés par les troupes napoléoniennes. Il sait également qu’il faut trois jours pour traverser la forêt de Compiègne en patins à roulettes et que par conséquent votre timing est déplorable.
Il ne vous rate jamais, le béta lecteur est une ordure !
Mais n’oubliez jamais ceci :
VOUS LE NON-PAYEZ POUR ÇA ! ********
Et sa seule présence est un cadeau des dieux.
Alors, ravalez votre morgue hautaine, Routiers et Capitaines, répondez éventuellement avec humilité, que vous « aimeriez mieux ne pas », mais écoutez ce qu’il vous dit sans vous faire prendre quand vous planquerez les putains de virgules surnuméraires sous le premier tapis volant qui croisera dans les parages.
Là où le béta lecteur est extrêmement précieux, c’est au moment où il vous réécrit un truc parce que c’est comme ça qu’il le sent.
Non, ce n’est pas de l’intrusion (enfin si), mais ça n’est pas grave. Parce que hein, vous êtes grands, c’est votre texte, si ça ne vous plait pas, ne prenez pas (mais poliment). En tout cas, ce qu’il fait à ce moment là, l’intrus, c’est qu’il vous montre TRES exactement ce qui fonctionne mal selon lui. Alors, il a peut-être tort mais au moins c’est déjà clair, à vous de voir si c’est valide en prime.
L’avantage du type qui refait en un coup de cuiller à pot votre phrase si amoureusement ciselée durant des semaines de doutes existentiels sans se demander si par hasard, il ne va pas vous vexer à mort : c’est qu’il VOUS FAIT GAGNER UN TEMPS FOU !!
Parce que je ne sais pas vous, mais moi quand on me dit « Là, c’est maladroit. », ben je suis con*******, dans la mesure où la phrase est correcte grammaticalement, je ne vois pas forcément le souci.
Alors peut-être que vous ne choisirez pas la solution proposée, peut-être que vous mettrez un point d’honneur à trouver MIEUX quitte à y fondre deux ou trois neurones au motif que c’est VOTRE BORDEL DE TEXTE et que l’art doit venir tout entier de vous, (Moi, je n'ai pas ça, hein ? Si c’est mieux, je prends. En remerciant éperdument du cadeau. Mais la seule chose qui soit plus grande que mon ego, c’est ma feignasserie.) peut-être donc. Mais en attendant, vous savez où ça coince pile et parfois vous avez même une idée sur le genre de rustine à poser. Tout bénef.
Rengainez votre orgueil où vous voulez, (Non pas là : lorsqu’il s’agit d’un orgueil d’écrivain, c’est rarement anatomiquement possible.), respirez un grand coup et relisez attentivement la proposition.
Un auteur adulte n’a pas peur d’être un peu réécrit.**********
…
( à être continué)
* Pardon.
** Désolée.
*** Navrée, vraiment.
**** Ce ne serait pas un pléonasme, ça ?
***** Je ne peux pas m’en empêcher, c’est nerveux.
****** Bon d’accord, je change de métaphore... sans conviction.
******* Remarquez toutefois la progression nécessaire dans l’acquisition des compétences.
******** Il n’est pas exclu tout de même que vous lui offriez un café crème à la gare du RER.
********* La preuve, j'ai réussi à faire neuf notes de bas de pages parfaitement inutiles, juste parce que j'adooooooore la NdBdP
********** Bien sûr, si le type vous réécrit ABSOLUMENT tout, posez-vous des questions : sur lui d'abord, sur vous, ensuite. Mais surtout sur vous.