Le dragon ivre.
J’ai pris des bateaux bleus dont j’ignorais la destination.
J'ai accosté en Asie Mineure sur le même continent que Troie, abordant la jetée d’un palais or et blanc rêvé par un sultan dément ou les docks noirs d’une compagnie pétro-chimique.
Mêlée aux ouvriers partant au bassin de radoub, je me suis perdue entre les containers jaunes marqués de logos menaçants, j’ai déjeuné de pain non levé trempé de tomates et de poivrons carmins au-dessus des dômes plantés de guingois d’un antique caravansérail.
Partout le silence m’a accompagnée au cœur d’une foule pressée, odorante et vive, mouvante au rythme de la mer de Marmara.
Je me suis trompée souvent, j’ai erré parfois, mais jamais je ne suis revenue sur mes pas.
J’ai été libre chaque seconde, d’une liberté acidulée de baklavas à l’orange.
Plus personne, désormais, n’ôtera ce goût-là de mes lèvres.