Ma main dans la gueule de Beigbeder
Après Mr Stock, c'est Bigbug qui disjoncte et qui monte au créneau.
Et que voit-elle venir sur la route qui poudroie, les ondes qui ondoient et les bits qui computoient, notre Gloire Littéraire Nationale ?
La mort annoncée du roman* après six cent ans d'Histoire, tué par le GRAND SATAN : le numérique.*
Préparez vos mouchoirs.
Et là, moi l'écrivain, moi la romancière, je regarde le faire-part, je le hume, je le retourne entre mes petits doigts tordus par l'arthrose et je me dis : et ? Et même : so what ?
Admettons que le roman disparaisse.
C'est vraiment si grave que ça ? Le petit chat va mourir ?** Les enfants de Somalie vont manger encore moins ?**' Je crois pourtant que le monde s'est remis sans trop de mal de la disparition des sagas nordiques ou des chansons de geste. Ou bien m'égarerais-je et quelques nostalgiques d'Egill le Chauve* pas trop rasés à l'intérieur de la tête se lamenteraient-ils encore dans un coin sans que j'ai eu l'élémentaire politesse de leur présenter mes plus sincères condoléances ?
Donc, admettons la mort du roman et imaginons un peu ce qui pourrait se passer :
Il y aura un vide et ce vide se remplira.
Avec autre chose.
Un autre truc artitistique tout aussi valable et qui durera encore six cent ans*.
Et c'est tout.
Ah non, gros inconvénient : les pauvres profs de littérature sous-payés dans mon genre seront encore plus dans la mouise pour expliquer aux gamins que "Oui, il n'y a pas d'images, pas de lien hypertextes, pas de couleurs, pas d'odorama, pas d'interactivité sensorielle, mais que c'est la base de la culture européenne et que c'est tout de même achtement intéressant comme concept."
Ah oui, mais là, je suis "scientiste" et ça c'est Mal *. Parce que vous l'ignoriez, mais la science, c'est le Mal* en France. La science ne doit pas se méler de répresenter le monde, la science ne sert pas à le comprendre ; ça, en France, c'est réservé à la philo et à la littérature générale, en tout cas dans un univers qui comprend le café de Flore comme nombril et Europe1 comme tribune.
Je ne sais pas comment le pays du Discours de la Méthode a pu verser ainsi dans la schizophrénie et amputer sa réflexion de la moitié de sa création intellectuelle, mais là c'est clair, on y est. Sans compter le grand retour du croquemitaine de Frankenstein qui sous-tend toute la réflexion de BigBug.
Mais en fait l'idée de fond, c'est celle-là : les scientistes soutiennent les écrans, les écrans, c'est le mal parce que ça permet de pirater BigBug.
Encore un qui défend (mal) sa soupe en prétendant défendre la littérature, et c'est tout.
Moi ce que je vois c'est ça :
Une bonne partie de la population mondiale vit à peine de ce qu'elle gagne -- quand elle en vit -- sans piratage elle n'a, en plus, aucun accès à la musique, aux livres, au cinéma. La question est réglée en ce qui me concerne : en terme de morale, le piratage culturel est aussi défendable que le vol d'un pain par Jean Valjean.
En outre, je préfère un peuple de pirates mais un peu cultivés par ailleurs : en terme de garantie d'esprit critique et de veille démocratique, ça me paraît plus sain.*
Voilou.
Si ça signifie que les miens de livres aussi seront piratés et bien, baste ! Ils auraient pu les acheter ? Non. Alors c'est mieux s'ils ne me lisent pas du tout ? Hum. Moi je suis un écrivain et je veux d'abord être lue. Je veux bien être payée aussi, pas de blème, mais on n'a rien sans rien. Et qui plus est, contrairement à ce que croit BigBug, je pense qu'être piratée finira toujours par "payer" justement.
Ça me ramène à un livre critiqué il y a peu dans ce blog : Drood de Dan Simmons.
Gérard Klein pointait très récemment à son propos l'ironique présentation qu'y fait l'auteur des problèmes de Dickens avec les éditeurs américains, lesquels le pirataient sans vergogne. À la fin de sa vie, Dickens la gagnait mieux en lecture de ses oeuvres qu'avec l'écriture elle-même. Et GK de souligner que c'est exactement le cas des musiciens qui font leur beurre en tournée plutôt qu'avec leurs disques, puisque les Majors leur raflent l'essentiel.
Prenons-en de la graine.
Le monde change, changeons avec lui.
Enfin, le roman ayant survécu au cinéma et aux jeux vidéos, j'avoue que je ne suis pas très inquiète pour sa santé, non plus. Sans compter que les ventes repartent paraît-il, mais ça pour BigBeuh c'est signe que le cygne agonise.
(Preuve que l'examinateur de ce monsieur au bac devait être le même que le mien à l'oral de mathématiques.)
En attendant, je supplie la Team Alexandriz de pirater le petit dernier de BigBug vite fait pour qu'il puisse faire de l'exercice. C'est clair que la sédentarisation ne lui fait pas que du bien et qu'il a besoin de s'agiter cet homme-là !
* Olivier Gechter se demandait d'ailleurs aujourd'hui si, par hasard, le visionnaire BigBug avait également prophétisé le retour de la nouvelle et de la novella, du coup...
* à ne pas confondre avec le Petit Satan : le scientifique.
** et **' Oui, je sais, c'est super bas comme argument. Surtout le coup du chaton.
* Mhm, qu'elle serait utile là, la NdBdP, hein ?
* En admettant que l'Humanité elle-même tienne aussi longtemps, ce qui n'est pas gagné.
* à peine moins mal que la SF.
* Tiens ça me donne une idée de note de blog.
* Parce que si vous comptez sur les débris de l'école publique pour assumer cette veille, ben, là, je vous avoue que je suis moins optimiste qu'en ce qui concerne la survie du roman.