Mistinguette et les lance-roquettes
J’ignore pourquoi mais de temps en temps, d’aucuns se piquent de clamer à grands envols de cape et mouvements de cheveux* qu’ils n’écriront plus de Science-Fiction, un peu comme ils annonceraient qu’ils ont renoncé à Satan, à ses pompes, à fumer, ou à lire Strange en cachette de leur mère.
J’avoue que j’en suis toute ébaubie à chaque fois. Il semblerait qu’on ne puisse quitter la SF sans en faire un drame, en cinq actes, avec intervention du Commandeur. Et surtout pas sans convoquer le ban et l’arrière-ban du fandom afin que celui-ci entérine le départ du traître consterné vers les Havres Blancs.**
La SF, on y entre donc par la petite porte, en envoyant son manuscrit au premier goyave éditeur venu mais on la quitte en traversant le portail d’entrée au landspeeder, secouant la crinière et espérant au passage faire s’écrouler les colonnes du Temple.
Je suppose que nous autres, malheureux insensés qui restons en arrière, sommes censés (du coup) sangloter éperdument et gémir entre deux crissements d’aéropneus :
–– Ne nous quitte pas ! On t’offrira des perles de plutonium 314 venues d’un pays qui n’irradie pas, on creusera Mars jusqu’après ta mort…
Des clous, je creuserai que dalle. Et mes colliers de plutonium 314, je me les garde : ils vont très bien avec mon teint hâve de geek posthumaine.
La SF n’amuse plus Toto ? Ça n’est pas grave, qu’il n’en dégoûte pas les autres. Et surtout, pitié, qu’il n’en fasse pas un manifeste littéraire***', c’est ridicule. Surtout quand il l’assortit de commentaires du genre :
« D’ailleurs, j’ai jamais lu que K. Dick** ** ! Les autres, je sais que c’est de la merde, j’ai pas besoin d’aller vérifier. »** ***.
Ériger l’ignorance en vertu c’est hallucinant, je dois l’avouer (et d’ailleurs, à ce stade je reprends généralement deux fois des frites, histoire de reprendre pied dans une réalité réaliste) surtout pour des gens à prétention vaguement littéraire et culturelle. Même mes élèves n’osent pas me la faire celle-là. Ou alors pas longtemps, vu que je leur apprends assez vite que la vanne tueuse, c’est également une question de culture et d’entraînement.
C’est un peu comme s’il nous disait :
« Je viens enfin de comprendre qu’il n’y a pas de petits hommes verts dans La Recherche du Temps Perdu.*** ****»
Ou :
« Je suis grand, maintenant, je vais vous le prouver**** ****. »
Il a surtout compris qu’il ne ferait jamais son beurre avec.
Il était temps, remarquez ; et ça ne fait pas honneur à ses capacités de calcul algébrique.
(C’est ce stade de l’histoire où Léoporello/Sganarelle pelote fébrilement le marbre en bredouillant « Mes gages, mes gages ! » juste après le départ du Commandeur)
Sans compter que bien souvent, ce sont des adieux au music-hall dignes de ceux de Mistinguette : on y a droit tous les deux ans environ. Ça doit être cyclique. Un genre de dépression saisonnière sans doute liée à la réception de la note de DA**** *****. Le moindre type s’étant fait un nom**** *****’ si petit soit-il (ou si grand) en balançant de l’elfe (légèrement parodique et mâtiné d'un ton emprunté à Céline**** *****'', histoire de ne pas avoir l’air de se prendre au sérieux ni d’arborer un attachement sentimental regrettable au Seigneur des Anneaux de son enfance) croit qu’il est enfin prêt pour la téléportation chez les Vrais Écrivains, ceux qui ont le Goncourt et qu’on reçoit dans les salons sans les soupçonner d’avoir dealé leur accréditation à l’entrée auprès de patibulaires blousons noirs.
Il brame donc :
« Beam me up, Scotty ! ***** ***** ».
Alors là, SPLAOUSH ! le voilà transporté dans le grand bain ! Et ses yeux dessillés, quoique brûlants de chlore, comprennent enfin que dans le pédiluve SF, il n’était déjà pas grand-chose mais alors que dans ce bassin tout neuf, il n’est rien. Pas même un alevin. La SF, cette garce, lui colle à la peau comme un maillot trop étroit pour dissimuler une érection.
Évidemment, ça marche un coup sur trois, voire quarante-deux. Adoncques, le retour triomphal et à sons de trompes du veau prodigue donne lieu à de somptueuses séances de dédicaces où les collègues pas rancuniers viennent lui acheter son dernier opus à base de trolls SM.***** ***** *
Mais les Totos, faut que vous compreniez bien un truc : personne ne s’est traîné à vos genoux***** ***** ** pour que vous balanciez votre ego***** ***** *** en pleine poire du lecteur innocent. Ni la réalité, ni la SF ne vous doivent rien, surtout pas un succès international et des traductions en 42 langues. L’ambition c’est super joli, mais si ça doit vous rendre aigres et méprisants comme de vieilles dattes, je serais d’avis que vous arrêtiez tout là, maintenant, pour vous lancer dans des métiers plus satisfaisants moralement et financièrement tels que la vente d’armes ou toute autre prostitution de haut vol.
Sinon ça va finir par se voir énormément, que non, vous n’aimez pas seulement la littérature et le silence.
* Copyrigth Anne Fakhouri
** Oui parce qu’en général, ils quittent la SF pour la littérature générale, la seule, la vraie, l’Unique. ***
*** Voir Anneau du même nom.
***' Au passage, les considérations de Toto sur la poésie ou tout autre genre littéraire à la robe certes rapiécée, je suggère qu'il ne les utilise qu'en suppositoire, parce que ça va bien hein ? "Pessoa, Prévert, Aragon, viendez, je vous prendrai tous un par un" c'est limite, ça aussi.
** ** Autant dire Dieu.
** *** Essaye Ballard avant, quand même, tu aurais l’air moins cruche
*** **** J’aurais sans doute eu moins de mal à la lire si ç’avait été le cas : Marcel en train d’épier le baron de Charlus lutinant un martien, ça, ça aurait été fun !
**** **** C’est ça, bois ton lait maintenant.
**** ***** Évidemment, la Note de Droits d’Auteur, je capte que ça déprime un chouïa quand on s’aperçoit une fois encore que le yacht qu’on comptait s’offrir ne mouillera jamais plus loin ni plus profond que la baignoire du petit.
**** *****'' non pas Dion
**** *****’ Au moins en Bretagne et autres lieux découverts à marée basse.
***** ***** On notera la contradiction interne digne d’une faille spatio-temporelle entre deux univers.
***** ***** * Si les écrivains de SF ne s’entr’achetaient pas réciproquement leurs livres, on ne vendrait jamais que la moitié des tirages.
***** ***** ** Ni d’ailleurs aux miens
***** ***** *** Ni d’ailleurs le mien***** ***** ****
***** ***** **** Mais moi je geins pas.