Téléportation, Mr Stock ?
J'avais cru dans mon immense naïveté que, question mur du çon éditorial, Anne Clarke avait passé les bornes de la Sublime Porte et que grâce à elle, nous nagions, enfin, dans les eaux sereines de « On-a-plus-rien-à-craindre-le-pire-est-déjà-là ».
Mais non.
Heureusement que, parmi nous, au cœur de cette merveilleuse communauté qu’est la Scène Littéraire Française, il reste quand même de vrais hommes capables de sentir un défi quand ils en voit un. Et de le relever. Haut et fort.
Il faut dire qu’eux-mêmes se gargarisent à loisir de la fameuse « exception française ».1
Au risque de se la prendre dans la bobine, en même temps que les pieds dans le tapis.
Ainsi, c’est Monsieur Roberts, directeur éditorial chez Stock qui gagne le pompon, le mickey, les oreilles et la queue.
(C’est l’été, la corrida est un marronnier de saison.)
Monsieur Roberts vient de découvrir :
a) l’existence des ordinateurs3.
b) le piratage
c) le malaise des librairies.
Cet homme est un explorateur tellement avant-gardiste qu'il a inventé la découverte vintage, peut-être même la rétro uchronie****, dans la foulée.
Le pauvre en est tout ébaubi. Mais comme c’est un vrai mec, il sait ce qu’il faut faire.
Il a trouvé la parade.
Interdire internet.
Le faire disparaître de la surface de la Terre et revenir aux signaux de fumée.6
Non, je déconne, mais ce n’est pas si loin, si on pousse le truc au bout, ce qui est une des manies agaçantes d’un bon locuteur en Klingon comme le faisait remarquer Alain Damasio sur France Cul. pas plus tard qu'il y a deux jours.*
Et sa vraie solution est ?
Je vous le donne en mille.
Imposer un lieu unique d’achat du livre ( les librairies) et par conséquent ne plus autoriser la vente en ligne (y compris numérique, je suppose)7. Et là, ce n’est pas du Klingon, je vous jure, il l’a vraiment dit.
Personne ne sait comment il compte s’y prendre et c’est tant mieux, parce que tout de même ça imposerait une surveillance d’Internet auprès de laquelle la censure chinoise aurait l’air d’une remontrance d’institutrice distraite par un sms amoureux de son IEN.
Mais le plus beau, le Spoonmaker** même, c’est quand même cette déclaration du bonhomme qui conclut presque l’émission ( déclaration liée au déchant des ventes de Musso8) :
"Le temps de cerveau disponible est beaucoup moins important, et malheureusement que ce soit pour les radios, pour les éditeurs, pour les libraires, je pense qu'il y a tout un temps consacré à aller sur un blog, choper une info, un scoop, une rumeur qu'on a pas... les gens passent deux à trois heures quotidiennes de leur vie à faire ça et pendant ce temps-là ils ne lisent pas".
Alors a) en fait, si Toto, ils lisent, parce que pour utiliser un ordinateur faut savoir lire, déjà.
Ensuite b) Loulou, je dois t’avouer que j’adore l’expression « temps de cerveau disponible » tant elle suinte de mépris inconscient chez ceux qui l’utilisent9. Et toi, je ne sais pas, mais moi mon cerveau fonctionne en permanence, sinon j’aurais du mal à respirer quand je descends un escalier ou que je mâche un chewing-gum. Tu dois avoir vu un de ces vieux épisodes de série antédiluvienne (Typo Stargate) où on te serine la vieille sornette selon laquelle on n’utilise son cerveau qu’à dix pour cent de ses capacités, c’est pas possible autrement10.
De plus c) qui tu es Jojo, pour décider à la place des gens ce qui est le mieux pour eux ? (Genre : lire plutôt qu’aller en salle de muscu ou à la plage ?)
En outre d) comme souvent avec les stats, Chouchou, tu rapproches deux chiffres qui n’ont pas forcément de rapport entre eux (le temps des gens sur le net vs le temps qu’ils AURAIENT passé à lire) en décidant que c’est le même.
J’aime !
Où est le bouton « like »13 ?
C’est marrant, et si je décidais d’en faire moi aussi des stats ?
Du style :
Puisque les blogs les plus actifs que je connaisse sont ceux de lecteurs dévorants qui passent leur temps à lire, à parler de ce qu’ils lisent, avec passion, quand ils ne déconnent pas sur FB ou G+ à échanger des photos de chats rigolos***, il n’y a plus qu’une solution :
obliger tout le monde, sous peine de reconduite à la frontière, à avoir un blog de chronique littéraire (à jour, s’il vous plaît), aimer les lolcats et à s’inscrire sur les réseaux sociaux.
Voilà.
Bon du coup, évidemment, ça risque de mettre les critiques au chômage.
Too bad.
Hélas, on a rien sans rien.14
Enfin, je ne sais pas ce qu'ils prennent au petit-déjeuner chez Stock, mais ne me donnez pas l'adresse de leur dealer : c'est pas bon.
1. Notamment celle qui consiste à ignorer résolument un genre reconnu partout ailleurs dans le monde.2
2. Non, je ne parle pas du thriller ésotérique.
3. Je suppose que chez Stock, ils congèlent leurs directeurs éditoriaux et ne les réveillent qu’une fois par an pour signer les chèques, du coup, ils sont un poil en décalage avec la marche du monde.4
4. Ou alors ils ont mal compris le message de l’épisode 3 « To the last man » de la saison 2 de Torchwood.5
5. Série que je vous recommande des deux pieds des deux mains, si vous ne l’avez pas déjà vue.
6. Ça tombe bien je connais des auteurs fumants.
7. C’est sûr qu’avec le succès que l’on connaît au prix unique du livre, il FAUT absolument rééditer ça dès que possible.
8. C’est tout aussi sûr qu’à 200.000 exemplaires, on peut parler de chant du cygne. Vous m’excuserez si je ne fais pas partie du chœur des lamentations. (En revanche, j’ai eu une envie féroce de taper sur ce monsieur qui a laissé tomber du bout des lèvres qu’il « n’avait rien contre la littérature populaire. »)
9. Et c’est notamment là que Roberts fait mieux que Clarke.
10. Il faut bien reconnaître que, parfois, la SF a de petits côtés nocifs.
11. Ça me fait furieusement penser à ceux qui croient dur comme fer que si on supprimait tous les « mauvais » bouquins, les gens se rueraient sur les « bons ».12
12. Ne me demandez pas comment ils trient le bon grain de l’ivraie, pas la moindre idée, et en fait, je préfère ne pas savoir.
13. Non, pas là.
14. Ça se voit, hein ?^^
*Oui, il leur arrive de parler Klingon sur France Cul. Farpaitement !
** Voir billet "Un diamant gros comme le Ritz" sur ce blog.
*** Mon lolcat préféré ever : je trouve qu'il va très bien avec Mr Stock et ses fadaises, comme le faisait remarquer Roland C. Wagner pas plus tard qu'il y a vingt quatre heures.
**** Si ma tante en avait, on l'aurait appelée Tatie jean-Marc.