Overblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU

LOUIS

Publié le par Jeanne-A Debats

 

Je sais peu de choses de mon arrière-grand-père Louis, et ces bribes se rangent en deux catégories : celles qui sont avérées (témoins, concordances, papiers) et celles que Solange racontait. Ce qui, on l’a vu, reste au mieux sujet à caution, pour le dire poliment.

Dans la première case, il y a sa naissance à C., un hameau du Quercy. Y figure également sa mort tragique, au milieu de milliers d’autres morts tragiques, en 1918. Je ne sais plus à quelle bataille, mais je pourrais le dénicher : il y a des papiers.

On y trouve aussi l’histoire d’un chien nommé Jules. Ou plutôt celle d’un garçon forcé un jour par son instituteur à passer le Certificat d’études. Je m’explique : Louis décrocha ce diplôme (à l’époque, c’était quelque chose), mais il ne pardonna jamais à l’héroïque instituteur d’avoir pris sur lui d’aller supplier mon arrière-arrière-grand-père (dont le nom m’échappe, mais pas la réputation d’horrible bonhomme qui a traversé deux siècles maintenant) pour que le fils fasse l’effort.

Louis voulait remplacer son père à la ferme. Il ne voyait pas l’utilité, selon les mots de Solange, de “se farcir le rognon avec des idées inutiles”. Alors, pour se venger, il avait appelé son chien Jules, comme le professeur. Et chaque fois qu’il traversait la rue de C., il hurlait :
— Au pied, Jules !

Juste devant l’école où le vénérable hussard noir officia, jusqu’à ce que, comme Louis, il fût emporté dans les bras de la Grande Faucheuse d’hommes de ces années terribles.

Dans la seconde case, il y a la romance avec mon arrière-grand-mère Berthe. Une belle femme, comme le serait un jour sa fille. Peut-être plus encore. Ma grand-mère adorait cette histoire, qu’elle m’a racontée mille fois.

Vous voyez Roméo et Juliette ?
Eh bien, transposez-les à Cahors, vers 1895. Avec un Roméo qui ne boit pas le poison et une Juliette qui s’enfuit avec lui. Parce que, figurez-vous, mademoiselle Berthe était demoiselle des Postes, comme on disait alors, et sa lettre à elle ne fut pas perdue.

Les familles étaient voisines, et leur haine conjointe recuisait depuis des temps immémoriaux. À base de puits empoisonnés (si, si) et de vols présumés de bétail, essentiellement. Je ne sais laquelle des deux familles fit à l’autre le coup de saler entièrement un champ à truffes ; l’histoire n’était jamais bien claire dans la bouche de Solange. Ce qui me pousse à penser que les Béragne étaient les coupables.

Toujours est-il que les tourtereaux avaient fréquenté les bancs de la même école. Brave Monsieur Jules, il avait diplômé tout le monde. Ils se perdirent de vue, puis, par un hasard complet, se retrouvèrent à une foire de la Grande Ville (à savoir Cahors). Ce fut un coup de foudre, paraît-il.

(Insérez ici le commentaire de ma mère : “Bref, ils se sont bourrés la gueule à une fête de bourgade, ont couché ensemble, pétés comme des glands, et ont régularisé aussi vite que possible.”)

Ils se marièrent tous les deux avec des témoins pris dans la rue, deux mois plus tard. Et le lendemain d’une (seconde) nuit torride, Louis débarqua chez son père, sa fraîche épousée rosissante au bras.

Ils eurent deux garçons avant Solange. Je ne les ai pas connus ; la fratrie s’est fâchée après la mort de Berthe, une histoire d’héritage très vilaine, évidemment, dont ma grand-mère fut l’incontestable victime, cette fois.
En revanche, j’ai connu Berthe. J’en garde deux images très floues, mais tendres.
De Louis, j’ai hérité une parcelle de terrain en espaliers au fin fond du Quercy Blanc, du nom de Martory, ce qui pue un peu la mort, comme nom. J’y suis allée quelques fois avec Solange.

Je la possède toujours.

Comme son couteau de cuivre

Je sais peu de choses de mon arrière-grand-père Louis, et ces bribes se rangent en deux catégories : celles qui sont avérées (témoins, concordances, papiers) et celles que Solange racontait. Ce qui, on l’a vu, reste au mieux sujet à caution, pour le dire poliment.

Dans la première case, il y a sa naissance à Cournou, un hameau du Quercy. Y figure également sa mort tragique, au milieu de milliers d’autres morts tragiques, en 1918. Je ne sais plus à quelle bataille, mais je pourrais le dénicher : il y a des papiers.

On y trouve aussi l’histoire d’un chien nommé Jules. Ou plutôt celle d’un garçon forcé un jour par son instituteur à passer le Certificat d’études. Je m’explique : Louis décrocha ce diplôme (à l’époque, c’était quelque chose), mais il ne pardonna jamais à l’héroïque instituteur d’avoir pris sur lui d’aller supplier mon arrière-arrière-grand-père (dont le nom m’échappe, mais pas la réputation d’horrible bonhomme qui a traversé deux siècles maintenant) pour que le fils fasse l’effort.

Louis voulait remplacer son père à la ferme. Il ne voyait pas l’utilité, selon les mots de Solange, de “se farcir le rognon avec des idées inutiles”. Alors, pour se venger, il avait appelé son chien Jules, comme le professeur. Et chaque fois qu’il traversait la rue de C., il hurlait :
— Au pied, Jules !

Juste devant l’école où le vénérable hussard noir officia, jusqu’à ce que, comme Louis, il fût emporté dans les bras de la Grande Faucheuse d’hommes de ces années terribles.

Dans la seconde case, il y a la romance avec mon arrière-grand-mère Berthe. Une belle femme, comme le serait un jour sa fille. Peut-être plus encore. Ma grand-mère adorait cette histoire, qu’elle m’a racontée mille fois.

Vous voyez Roméo et Juliette ?
Eh bien, transposez-les à Cahors, vers 1895. Avec un Roméo qui ne boit pas le poison et une Juliette qui s’enfuit avec lui. Parce que, figurez-vous, mademoiselle Berthe était demoiselle des Postes, comme on disait alors, et sa lettre à elle ne fut pas perdue.

Les familles étaient voisines, et leur haine conjointe recuisait depuis des temps immémoriaux. À base de puits empoisonnés (si, si) et de vols présumés de bétail, essentiellement. Je ne sais laquelle des deux familles fit à l’autre le coup de saler entièrement un champ à truffes ; l’histoire n’était jamais bien claire dans la bouche de Solange. Ce qui me pousse à penser que les Béragne étaient les coupables.

Toujours est-il que les tourtereaux avaient fréquenté les bancs de la même école. Brave Monsieur Jules, il avait diplômé tout le monde. Ils se perdirent de vue, puis, par un hasard complet, se retrouvèrent à une foire de la Grande Ville (à savoir Cahors). Ce fut un coup de foudre, paraît-il.

(Insérez ici le commentaire de ma mère : “Bref, ils se sont bourrés la gueule à une fête de bourgade, ont couché ensemble, pétés comme des glands, et ont régularisé aussi vite que possible.”)

Ils se marièrent tous les deux avec des témoins pris dans la rue, deux mois plus tard. Et le lendemain d’une (seconde) nuit torride, Louis débarqua chez son père, sa fraîche épousée rosissante au bras.

Ils eurent deux garçons avant Solange. Je ne les ai pas connus ; la fratrie s’est fâchée après la mort de Berthe, une histoire d’héritage très vilaine, évidemment, dont ma grand-mère fut l’incontestable victime, cette fois.
En revanche, j’ai connu Berthe. J’en garde deux images très floues, mais tendres.
De Louis, j’ai hérité une parcelle de terrain en espaliers au fin fond du Quercy Blanc, du nom de Martory, ce qui pue un peu la mort, comme nom. J’y suis allée quelques fois avec Solange.

Je la possède toujours.

Comme son couteau de cuivre.

 Louis en uniforme encadré dans un cadre doré patiné. Il a un visage calme et à la fine moustache tortillée au bout, il porte une vareuse claire fermée haut.. Une cordelière descend sur la poitrine et soutient une médaille en forme de croix à quatre branches égales — vraisemblablement la Croix de guerre 1914-1918, distinction honorant les actes de bravoure.

Louis en uniforme encadré dans un cadre doré patiné. Il a un visage calme et à la fine moustache tortillée au bout, il porte une vareuse claire fermée haut.. Une cordelière descend sur la poitrine et soutient une médaille en forme de croix à quatre branches égales — vraisemblablement la Croix de guerre 1914-1918, distinction honorant les actes de bravoure.

Portrait de Berthe en sépia  Elle est vêtue d’une robe sombre à col montant clair, les cheveux relevés  en bandeaux et le regard droit, calme que je trouve un peu triste. Le cadre en bois sculpté présente un motif ovale répété. Sous l’image, une étiquette noire à lettres blanches indique : « Berthe Béragne née Bessières ».

Portrait de Berthe en sépia Elle est vêtue d’une robe sombre à col montant clair, les cheveux relevés en bandeaux et le regard droit, calme que je trouve un peu triste. Le cadre en bois sculpté présente un motif ovale répété. Sous l’image, une étiquette noire à lettres blanches indique : « Berthe Béragne née Bessières ».

Partager cet article
Repost0

Ma grand-mère vs Donald Trump

Publié le par Jeanne-A Debats

Ma grand-mère vs Donald Trump

Comme vous avez l’air plus intéressé.e.s par la garce que par le président, parlons un peu d’elle.

Déjà, contrairement à lui, elle avait été une beauté. Mon grand-père la vénérait : tout ce qui tombait de sa bouche était parole d’évangile. C’était un genre de Paulette Dubost, en encore plus piquante. Et elle le savait.
D’ailleurs, elle ne loupait aucune diffusion d’un film de la brave dame, MÊME La Règle du jeu de Jean Renoir qu’elle détestait pourtant, uniquement pour critiquer Paulette.

Comme Donald, c’était une menteuse. Forcenée.
Elle mentait pour ne rien affronter, et elle mentait pour mentir.
Le mensonge, pour elle, n’était ni une faute ni un refuge, mais une manière d’habiter le monde. Il fallait que la réalité plie, que les autres doutent, que la vérité ait peur.

Quand on la prenait sur le fait, elle ne se démontait pas.
Elle avait inventé le gaslighting avant l’heure.
C’était l’autre qui mentait, ou qui délirait.
Elle posait sur vous ce regard de verre où flottait une pointe de pitié, comme si votre lucidité prouvait justement votre folie. On finissait par se taire, vaincu par l’assurance tranquille de son mensonge.

La seule personne qui échappait à sa hargne, c’était son père.
Elle l’idolâtrait. Et ça tombait bien : elle ne l’avait presque pas connu.
Elle devait avoir cinq ans quand il avait disparu dans le claquement d’un obus, quelque part dans la boue de 1918.
Le pauvre était mort dans une tranchée, aux côtés de centaines de milliers de Gascons qu’on avait envoyés crever là comme des chiens, en face d’autres pauvres cabots.
C’est ainsi que disait mon autre grand-père, celui qui pleurait devant Les Sentiers de la gloire.

Louis, il s’appelait. Il était assez doué de ses mains : j’ai encore, sur mon bureau, le couteau en cuivre qu’il avait taillé dans un obus non éclaté pendant une accalmie.
Il me sert de coupe-papier aujourd’hui. Petite, il me fascinait, surtout parce qu’il brillait.
Je croyais que c’était un couteau de princesse. Son histoire abominable me passait très au-dessus de la tête.

Un jour, j’eus une dispute avec Solange.
Ma mère avait prévu de m’emmener quelque part, et elle, elle voulait me traîner chez une de ses corneilles.
Elle me somma de choisir, et je ne sais où je trouvai le courage de dire que j’irais avec maman.
Le lendemain, le couteau avait disparu.
Très naturellement, on m’accusa du vol. Il faut dire que je tournais beaucoup autour, fascinée.

Je fus envoyée au cabinet noir (oui, oui, mais c’était une punition pour adultes ; moi, j’adorais ce grand placard mystérieux).
On hurla beaucoup autour de moi, mes parents me grondaient toutes les trois minutes, et je niais férocement : ce n’était pas moi. Personne ne me crut.

Quelques mois plus tard, Solange m’envoya chercher du fil dans sa boîte à couture.
Au moment où j’arrivais dans la pièce, elle cria : « Reviens, j’en ai ! »
Mais mon cerveau, toujours branché sur la mission du fil, n’enregistra pas le contre-ordre.
J’ouvris la boîte. Et là, au beau milieu, je le découvris : entre deux aiguilles à crochet (elle adorait le crochet, et me faisait d’abominables pulls qu’elle me forçait à porter en visite).

Je revins ravie, le couteau à la main : je l’avais retrouvé.
Alors je croisai son regard, celui que ma mère appelait son « regard de poule psychopathe », et je sus.
Et je sus qu’elle savait que j’avais compris.

Elle m’aimait pourtant. J’étais, comme son père, bien que vivante, une de ses seules affections au monde. Et c’est le pire : je savais qu’elle m’aimait, et j’ai mis des années à cesser de l’aimer, au grand désespoir de ma mère qui voyait cela, non sans raison, comme une trahison.
Mais les enfants, ça aime les adultes autour : c’est programmé pour.
Maman, tu aurais dû t’en souvenir.

La seule fois que je la vis manifester une émotion sincère, ou du moins dont je ne questionnai pas la sincérité, ce fut lors de notre visite à l’ossuaire de Douaumont, un jour d’été des années quatre-vingt-dix.
On y avait enterré Louis en vrac, sa chair et ses os mêlés à ceux des autres.

Elle, toujours impeccablement mise, maquillée à la cire comme je la verrai toujours jusqu’à ses quatre-vingt-dix ans, la mise en plis aussi solide qu’un casque de poilu, les lèvres serrées.
Et soudain, la carapace se fendit.
Pas un grand sanglot, pas même un mot.
Juste un tremblement minuscule dans la mâchoire, et cette larme improbable qui creusa doucement la couche épaisse sur sa joue, comme une coulure de bougie.

Je repense souvent à cette larme.
Ce jour-là, elle avait cessé de tricher. Elle n’était plus la reine du monde, juste une enfant sans père, regardant enfin ce que la guerre lui avait volé.
Peut-être que le mensonge avait été sa manière de survivre. Quand on perd tout à cinq ans, on se fabrique facilement un récit où l’on a toujours raison.

Trump, c’est pareil. Il ment pour exister.
Mais là où le sien ravage la planète, celui de Solange ne dépassait pas la nappe cirée.
Même besoin d’admiration, même peur du vide, même art de tordre la réalité jusqu’à ce qu’elle craque.

Je garde le couteau sur mon bureau.
Il ouvre le courrier, fend les enveloppes, tranche les illusions.
On peut forger du beau avec les restes d’un obus, mais il faut se méfier : certaines choses continuent d’exploser longtemps après la guerre.

Partager cet article
Repost0

Ma grand mère vs le monde

Publié le par Jeanne-A Debats

 

Je me souviens des étés dans la maison familiale, quand ma mère, cigarette au coin des lèvres et torchon sur l’épaule, lâchait avec une sorte de jubilation lasse :
« Ta grand-mère, elle est méchante comme une gale et con comme un panier, mais avec le génie de toujours faire triompher sa méchanceté. »

Je ne comprenais pas tout, à l’époque. J’entendais la colère, la résignation, l’admiration presque, car il faut un certain talent pour que la bêtise prenne le pouvoir, pour qu’elle s’impose comme une force organisée. Et ma grand-mère Solange s’imposait toujours.

Pour obliger tout le monde à réfléchir au menu de midi alors qu’on en était à peine au premier café, à prier pour qu’on ne parle pas déjà de rognons de veau au porto, avec ou sans haricots, verts ou blancs, selon son humeur.

Pour habiller les enfants (nous) comme des ministres et les enlever à leur mère indignée, qui avait prévu piscine, afin de parader avec chez ses vieilles amies corneilles du pays.
(J’en conserve une haine recuite pour le thé, les gâteaux « doigts roses » et les putains de « Mon Chéri ».)

Pour arracher les fleurs de ma mère, trop vivaces, trop sauvages, trop décoiffées, trop anglaises, et y faire planter des bégonias et des hortensias par mon grand-père.
(Je commence à peine à pardonner ces pauvres fleurs, qui n’y étaient pour rien.)

Et puis il y a eu la messe du dimanche. Mes parents, athées comme des chiens galeux, s’y opposaient, mais Solange triompha.
Mais cette fois unique, sa victoire fut courte.

Au milieu des répons pslamodiés, du haut de mes sept ans, j’entonnai la seule autre chanson de ma connaissance qui possédât la même ferveur que le latin de ces pieux piaillements : L’Internationale.

Je vous prie de croire que balancer ce refrain, avec conviction mais la voix d’un sistre, au beau milieu du poulailler catho du village, fut mon premier grand succès public. On ne reparla plus jamais de m’emmener dans cet « antre d’obscurantisme », comme tonnait mon autre grand-père.

Tout cela sans compter les myriades de saloperies minuscules dont je ne sus rien, sur le moment au moins, et qui tenaient toutes à la rivalité de Solange envers ma mère, sa belle-fille. Rivalité classique, presque folklorique : Solange n’interrogeait jamais les traditions qui l’arrangeaient.

Elle ne lisait rien, ou alors les programmes télé, mais pas Télérama, hein ? Elle se méfiait des intellectuels, des “donneurs de leçons”, et, en disant cela, regardait systématiquement ma mère, oubliant les maîtrises diverses de son fils. Elle avait réponse à tout : « Moi, au moins, j’me laisse pas manipuler par des gens qui savent pas plumer une poule. » Elle ne lisait pas, donc elle “savait”. Elle jugeait à l’instinct, c’est-à-dire à la peur. Et quand on la contredisait, elle sortait cette phrase définitive : « J’ai raison quand même. »

Ce qui me plongeait dans des abîmes d’angoisse : à l’époque, je pensais que les adultes savaient ce qu’ils racontaient et j'avais le sentiment diffus que là, à cet endroit précis quelque chose clochait.

J’ai déchanté depuis, pour les autres gens aussi.

Il y a dans cette obstination mauvaise un parfum que je retrouve aujourd’hui dans un endroit inattendu.

C’est ce parfum qu’on respire chez Trump, ou chez tous ceux de son espèce, qu’ils soient blonds, bronzés ou peroxydés, qu’ils tiennent un pupitre présidentiel ou un barbecue du dimanche. Des gens qui confondent la brutalité avec la force, la vulgarité avec la franchise, et la manipulation avec le charisme.

Trump n’est pas bête. Ma grand-mère non plus ne l’était pas tout à fait. Il y a une intelligence de la nuisance, une sagacité du ressentiment. Une façon de flairer où ça fait mal, d’appuyer juste là, sur la peur des autres, pour en tirer un avantage.
C’est une intelligence sans lecture, sans recul, sans remords. Un instinct de prédateur mal dégrossi, mais efficace.

Trump est l’héritier direct de ces esprits-là : il ne comprend rien, mais il ressent très bien. Il ne sait pas penser, mais il sait flairer. Comme ma grand-mère flairait la faiblesse chez les gens gentils pour les faire plier.
Les imbéciles charismatiques ne gouvernent pas seuls : ils fédèrent la médiocrité. Et c’est là leur génie, le seul.

La bêtise pure est inoffensive ; la bêtise qui se croit persécutée devient meurtrière.

Ma mère n’a jamais lu Daniel Goleman ni un traité d’intelligence émotionnelle, Elle est morte, elle ne suit pas David Brin sur FB ni Robert Reich qui m'a inspiré ce post , mais elle l’avait compris avant tout le monde.
Ce qu’elle appelait “le génie de la méchanceté”, les psychologues appellent aujourd’hui la manipulation affective, l’exploitation des biais cognitifs, la domination par la peur.

Trump, c’est ma grand-mère avec un compte Twitter et la bombe atomique.

Partager cet article
Repost0

Caroline du Sud/Afghanistan, même combat.

Publié le par Jeanne-A Debats

En Caroline du Sud, y’a 20 républicains assez perchés pour soutenir un texte qui ferait aisément figure d’addenda ou de spin off de La Servante écarlate. Le “South Carolina Prenatal Equal Protection Act (H.B. 3537)” vise à définir le fœtus comme « personne » dès la fécondation, ce qui ferait de l’avortement un homicide avec préméditation.
Et donc, hop, envoyer les femmes à la chaise électrique. La peine de mort pour avoir avorté. On n’est pas dans un roman dystopique, on n’est pas à Salem, on est dans un Parlement américain, aujourd’hui.
Le texte, dans sa première mouture, remonte à 2022. À l’époque déjà, ça avait fait scandale et certains républicains pas trop agités sous le lampion, pris la main dans le pot de merde, avaient retiré fissa leur signature. Effrayés par le tollé, ou vaguement réveillés par leur conscience. Voire les deux. Pourquoi choisir ? En découvrant que le truc envoyait potentiellement les femmes sur la chaise pour avoir avorté, ils ont battu en retraite.
 
Aux dernières nouvelles, la saloperie a été ressortie des tiroirs en décembre 2024, officiellement déposée en janvier 2025, et traîne toujours en commission judiciaire. Pas encore de vote, mais toujours une poignée d’illuminés pour le soutenir et rêver tout haut d’un monde où une poignée de cellules vaut plus qu’une vie de femme.
 
Et comme si ça ne suffisait pas, certains de ces croisés anti-avortement veulent pousser le délire encore plus loin : interdire carrément de donner la moindre info sur la façon d’avorter dans un autre État. Même pas le droit de dire « prends ta voiture et roule ». Une tentative de bâillonner la parole, de criminaliser Google, les associations, les médecins, les copines, bref tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la solidarité. Pour l’instant c’est au stade de projet, mais le simple fait d’oser l’écrire sur un papier officiel montre jusqu’où ces tarés sont prêts à aller. Sans compter ce que ça pourrait signifier derrière : restreindre purement et simplement le droit des femmes à se déplacer.
Alors modulons : ça a très peu de chances d’aller au bout. Sur 124 élus, 20 clampins seulement ont signé cette dinguerie. Le gouverneur lui-même a qualifié le texte de lubie démente (lunacy). Et juridiquement, ce truc se fracasserait vite contre la Constitution et quelques juges pas encore totalement replongés dans le Moyen Âge.*
 
POUR L’INSTANT.
 
Mais, et c’est là que ça fout vraiment la gerbe, le simple fait qu’on en soit à débattre sérieusement d’un tel machin dit tout : il y a bel et bien 20 députés qui rêvent de voir des femmes griller pour avoir refusé une grossesse. Vingt élus soi-disant prolife qui trouvent ça normal de tuer une femme adulte pour une centaine de cellules. Ça donne une idée de la valeur de la vie des femmes sur cette planète. Les Talibans n’ont qu’à bien se tenir, la Caroline du Sud tente une percée aux Jeux olympiques de l’oppression .
Iels posent leur signature, iels assument. Et plus tard ? Pourquoi pas trente, cinquante ? Pourquoi pas une majorité, si la pente continue comme ça ?
 
Il y a donc déjà 20 salopards pour soutenir cette abomination. Et rien ne nous dit qu’ils ne seront pas plus nombreux demain.
 
Ni même qu’ils ne soient pas déjà ici.
 
 
* Et encore c'est pas gentil pour le moyen âge.
Partager cet article
Repost0

Tango & Cash

Publié le par Jeanne-A Debats

Depuis qu’Alfred, bichon maltais de poche mais de tempérament d’ogive nucléaire, a débarqué intempestivement chez nous, Leika, Truffe boborurbaine de son état, en a inféré que toutes les lois en vigueur pouvaient joyeusement être révisées.

C’est qu’Alfred, les ignore, lui et qu’il les enfreint toutes.

Monter aux étages ? Mais oui, voyons !

Lorgner les dessus de lit comme si on préparait un casse de bijouterie place Vendôme ? Légitime.

Réclamer à manger toutes les deux minutes ? La base.

Filer comme un obus, sans écouter rien ni personne pour aller dire bonjour à V., le jeune voisin colley ? Ben quoi, il est où le problème ?

Et si on y arrive pas à deux, l’un des quadrupèdes fait diversion auprès du bipède de service, tandis que l’autre profite de l’ouverture.

Avec Alfred en Bonnie, La Truffe se découvre Clyde ; en Abbott, elle improvise Costello ; en Heckel, elle se déguise en Jeckel. Le duo sévit, à deux doigts de monter une version canine de la Teamster, avec blocage de ports par les dockers, enrôlement des sections félines voisines, et le Guéridon, mon mari, homme de ma vie et meuble philosophe à ses heures, a déjà rendu son verdict : « ils font gang ».

Évidemment, ils sont heureux. On ne sait pas si la Truffe s’est fait un copain ou un enfant, ou un « vrai » mouton, mais lui la suit partout, imite tout ce qu’elle fait, et malgré ses pattes ridicules la colle tout à fait honorablement quand elle pique un sprint dans les champs d’à côté. Et quand on ordonne à la Truffe de ramener le bichon qui « s’est involontairement égaré » du côté de chez V. le colley voisin, elle fonce, le bloque, mais reste là en aboyant et en glissant lentement dans la direction délinquante.

On nage dans un bain moussant d’amour canin, à quoi il faut encore ajouter cinq chats déjà. convaincus qu’ils dirigent l’univers.. Et inutile de compter sur eux pour rétablir l’ordre : désormais, ils se laissent léchouiller au petit matin, jouent avec le poil d’Alfred pile à la bonne hauteur, bref, profitent du désordre… tant qu’on n’essaie pas de leur laver les arrières, ce qui reste, et restera, une déclaration de guerre.

Bref : si on ne confie pas rapidement l’adorable passager clandestin à une bonne âme volontaire, il faudra venir déblayer nos cadavres, retrouvés sous une avalanche de poils, ronrons, aboiements et léchouilles.
Cause du décès probable : mort par excès d’affection multispécifique. Ou épuisement. Ou les deux.

En tout cas, aujourd’hui, la Teamster landaise fait comme le reste du pays, elle bloque tout.

Bonne grève à vous toustes, camarades.

L'AG de la border et du bichon, elle assisse, oreilles droites, tête penchée, lui le bichon couché à ses pieds sur son tapis fixe résolument l'objectif. "Rends les croquettes" !

L'AG de la border et du bichon, elle assisse, oreilles droites, tête penchée, lui le bichon couché à ses pieds sur son tapis fixe résolument l'objectif. "Rends les croquettes" !

Partager cet article
Repost0

Les aventures rocambolesco-boueuses et matutinales d’Alfred le Bichon trouvé en attente d’adoption pleinière ailleurs et Leika la truffe bobrurbaine.

Publié le par Jeanne-A Debats



Or donc tous les matins avant le petit jour, aux alentours de 5h, légers et courts vêtus, Leika et Alfred traînent l’humain.e (plus souvent l’humain) le plus réveillé dans les joies du point de rosée et des évacuations primo quotidiennes.
C’est un moment d’enthousiasme terrifiant dès l’ouverture de la porte. Leika veut passer d’abord, le bichon itou. Leika traverse le bichon comme les divisions de Panzers les rangs supposés (oui parce que c’est un hoax en fait) de la cavalerie légère polonaise en 1945. Aplati comme une crêpe, mais pas démonté ,le bichon insiste, l’écrasement persiste. Leika ne gagne pas toujours.
Une fois dehors, c’est chacun.e pour soi. Et yolo les hautes herbes un peu craquantes pour la Truffe, yarglaaah les douceurs du gazon franchement tondu (non, Alfredo pas là, juste devant la porte sous l’auvent).
Un petit tour sous le prunier qui lâche encore quelques bombes délicieusement sucrées à disputer aux frelons (scoop : le frelon ne dort pas des masses), l’humain râle mais c’est pas grave. L’humain pense que trop de prunes nuit aux Truffes, la Truffe beg to disagree et pense que l’humain espère seulement sauver son tapis.
Puis une galopade par là et on retourne à la casa se goinfrer une merveilleuse poignée de croquettes à chats (oui c’est comme ça). Et hop, reprenons le cours de la nuit lové sur un moelleux tapis.

Avant de se rendormir, Alfred tient à faire remarquer qu’il a été un très bon toutou (lui) et quémande une dernière caresse, qu’on lui accorde en grognoufant dans nos barbes, vu qu’on ne veut pas (trop) s’attacher. Mais avouons que le salopard razmoquettes rend la manœuvre très difficile.
Ça, c’est comme d’hab.

Sauf que ce matin, sous le prunier, y’avait un intrus qu’on avait pas vu depuis longtemps : Alphonse le hérisson ((tous les hérissons s'appellent Alphonse ici, même les hérissonnes, c'est pas moi qui fait les règles -- ah si), dérangé par les pluies diluviennes, en pleine opération “réserves avant hibernation”. Leika passe et s’en fout, elle sait ce que ça coûte le reniflement trop proche d’un hérisson même quand on le connaît bien. Alfred, lui, est un petit gars des villes c’est sûr désormais. Ce machin hérissé l’intrigue, le passionne, l’indigne. Il fonce. Ouch, droit dedans comme quand il essaie de sortir avant la border. Piqué jusqu’aux oreilles, il croit sans doute avoir rêvé : il fonce derechef. Gnouf, non vraiment ça fait mal ce truc. « Et tu fais rien ? » geint-il à la Truffe qui remue la queue, ignore toujours aussi poliment Alphonse et s’occupe plutôt de piquer des prunes sans que je le voie.

Alphonse, lui, s’en va en se dandinant, parce qu’il se met à tomber des cordes, l’endroit est trop bruyant. La socialité, c'est pas son truc. Et c’est un Alfred furibard que je ramène à la maison, lamentable sous la pluie, le poil traînant. Et voilà qu’il toussote, renifle, geint, bref il joue les martyrs avec une conviction de tragédien grec. On l’imagine déjà déclamant Eschyle, sauf que les vers se terminent toujours par « ouaf ». Lui qui d’ordinaire a des mines de prince en exil, il ressemble plutôt à une vieille serpillère oubliée dans une rigole. je l'essore tant bien que mal, mais il faudrait une armée de pressing pour redonner du panache à cette boule de coton détrempée qui, en prime, se met à frisoter.
Leika, elle, observe de loin avec la babine en coin des habituées du drame rural. Elle sait qu’Alfred va recommencer demain, parce que la curiosité d’un bichon c’est comme la pluie d’automne : inépuisable.

Petit gars des villes, c’est certain. Mais avec un entêtement de hobbit et un orgueil de Napoléon miniature.

On l'aime déjà trop, foutu cabot.

Partager cet article
Repost0

Joker

Publié le par Jeanne-A Debats

Il y a des soirs où l’univers décide de tester vos capacités d’improvisation et d’adaptation.

16h, H moins 3h. Douze invités prévus à table, je me lance dans l’opération « mise en sécurité féline» : Hyrcki au garage, Misha et Flow à la salle de bain, reste Tim à rabattre dans la chambre avec Socquettes. C’est que nos chats n’aiment pas les étrangers et comme mon arrière grand-père jadis à ses enfants « Et j’entends par étrangers, tout ce qui n’est pas ta mère et moi ».
Pas de Tim, le fourbe sentant le vent, a profité des affolements divers de tous et toutes pour filer dehors. Je sors, j’agite le paquet de croquettes, frrr frrr, persuadée que Tim va pointer son museau… et à la place surgit quelqu’un d’autre.

PAS.DU.TOUT.PREVU.AU.PROGRAMME.

Le genre de mini-serpillière à pattes, toute propre, avec un nez en bouton de bottines et des yeux façon “Tu m’auras adopté avant même que tu comprennes que je t’ai eue”, c’est un bichon maltais, peut-être., L’évadé de la planète des Peluches Trognonnes s’avance vers les croquettes et moi l’air de dire : “j’en veux bien moi, des croquettes. ”. Mais non, c’est une ruse !
L’évadé ne veut pas de croquettes, juste conquérir nos tapis et squatter nos caresses ; un bol d’eau, trois bouchées par politesse et, il entreprend ex abrupto de séduire la border collie. En deux minutes, il a déjà compris que, dans une maison envahie de chats outrés, la chienne était la bonne alliée à cultiver.

Personne sur la route. Pas un maître affolé qui cherche son chien. Pas de trace de bouillasse sur son poil, pourtant sec et toiletté alors qu'il a plu sa mère en kilt toute la matinée. Pas affamé non plus, pas assoiffé. Pas maltraité, il obéit facilement, sans la bassesse terrifiée des chiens qu’on frappe pour les faire obéir. Quelqu’un a mis du temps, de la patience et de l’amour dans son éducation. Il reste simplement là, comme un cadeau encombrant et irrésistible, déposé à seize heures un soir de dîner.

OK, inutile de poster « Houston, nous avons un problème », il faut gérer. Le bichon devient Joker ( parce qu’il débarque sans invitation à la fiesta comme son homonyme et que clairement, il veut dominer Gotham). Pendant que nous jonglons entre les casseroles et les convives, lui s’installe déjà comme s’il avait toujours été là. On dirait une boule de sucre glace qui marche toute seule, ou un chausson en peluche qui s’est découvert une vocation de chien. La border collie est conquise. Les chats font mine d’ignorer, mais je les connais : ils enregistrent tout, ils me jugent et me condamnent.

Le lendemain, direction vétérinaire. Pas de puces, pas de tatouage, pas de puce électronique non plus. Le vétérinaire note mon nom, et à la mairie ils prennent sa photo pour l’afficher. Je fais le tour des voisins, qui ricanent un peu parce que qui a un chien de ville dans le coin ?

Dans quelques jours, quelqu’un d’une association viendra le chercher.
Et déjà, mon cœur fait ce qu’il fait toujours avec les cabossés : il ramasse. Les enfants perdus, les chiens échoués, ceux qui se glissent dans ton quotidien par la petite porte de la tendresse. Je sais bien que si ses vrais humains se manifestaient, je le leur rendrais sans l’ombre d’un regret et avec un total soulagement.
Mais si c’est une asso qui vient, si c’est un inconnu, alors ce ne sera pas pareil. Parce que Joker, avec ses airs de fantôme de machine à laver option essorage à 18 a déjà trouvé sa place dans la maison et comme son terrible homonyme, les combinaisons de mon coffre-fort affectif n’ont aucun secret pour lui.

Et force m’est de constater que les chiens ne faisant pas des chats (hin, hin) , je deviens chaque jour un peu plus ma mère qui accueillait la misère animale et humaine avec une porte également toujours ouverte. Elle est morte il y presque 6 ans déjà, date anniversaire dans 15 jours, et il faut bien que quelqu’un s’y mette.

Bichon maltais en pleine tentative d'effraction affective. C'est à dire que depuis un lot de tapis colorés , il fixe l'objectif avec une mignonnerie qui devrait être interdite par la convention de Genève.

Bichon maltais en pleine tentative d'effraction affective. C'est à dire que depuis un lot de tapis colorés , il fixe l'objectif avec une mignonnerie qui devrait être interdite par la convention de Genève.

Partager cet article
Repost0

En mémoire de Jean Pormanove et de tous les autres

Publié le par Jeanne-A Debats

C’était il y a quarante ans. J’étais animatrice en colonie de vacances. Une colo chic pour gosses CSP+ en Grèce.

Il y avait cette jeune fille, jolie mais naïve, « simple ». Sa fragilité aurait dû donner aux gens l’envie de la protéger des lions. Mais l’ennui, c’est qu’il y a beaucoup de lions et pas énormément de gens. (Ou l’inverse, puisque les lions, eux, ne se planquent pas derrière le mot « blague » quand ils bouffent leurs rejetons mâles.)
(Tiens, c'est une idée)
(Je déconne)

Elle servait donc de défouloir aux salopards d’animateurs, toujours prompts à maquiller leur cruauté en humour. Au début, je n’ai rien vu : j’avais mes propres problèmes. J’étais moi-même leur cible, trop pédago, trop intello , la tarée qui proposait des visites de ruines en Grèce, sans déconner !?
 Eux, ils ne rêvaient que de piscines, même pas des plages.

Un soir au restaurant, les types ont convaincu le serveur que la gamine rêvait de lui et raffolait des plats ultras-épicés. Et là, j’ai vu. J’ai protesté, personne n’a bronché. Alors je me suis assise à côté d’elle. Quand le serveur a posé le piège devant elle, j’ai échangé son assiette avec la mienne. J’ai bouffé le feu de l’enfer en silence, pendant qu’elle mangeait tranquille et que la meute guettait son étouffement comme des hyènes flairant l’antilopette trop fragile. Le soir même, le directeur m’a convoquée. Verdict : je « ne savais pas rigoler ». 
Je n'aurai pas de contrat l’année suivante.

Quarante ans plus tard, c’est la même mécanique, simplement podcastée et monétisée : l’affaire Jean Pormanove. Même scénario minable : une victime choisie pour sa vulnérabilité, des bourreaux persuadés d’être drôles, et un public qui s’esclaffe en attendant la chute. Dans la colo, c’était une assiette de piments. Sur Kick, une suite d’humiliations en direct. Dans les deux cas, on se gave de la même chose : la souffrance des autres. Jusqu’à la mort.

Dans une cour de collège, une colo, un bureau, ou en streaming, l’équation est la même : plus on regarde, plus ça dure. Chaque vue, chaque commentaire, chaque silence vaut approbation. C’est cette rente morbide qui encourage l’agresseur à recommencer.

Après coup, place à l’hypocrisie en mode supersonique. Les adultes n’ont  rien vu , les supérieurs  rien su, les plateformes pas assez de moyens. Tout le monde savait. Tout le monde voyait. Mais dénoncer, c’est s’exposer. Alors on détourne les yeux. La lâcheté collective est l’engrais le plus efficace du harcèlement.

Et quand quelqu’un proteste ? On l’écarte. Moi, je ne savais pas rigoler. Ceux qui ont signalé les violences contre Pormanove ont été ignorés, ridiculisés, menacés. Car le harcèlement a toujours le même alibi commode : « ce n’est qu’une blague », « il faut savoir rigoler ». C'est son camouflage, son carburant et son impunité.

Jean Pormanove n’est pas mort par hasard. Il est mort de ce vieux mécanisme qui transforme la douleur des plus faibles en spectacle, l’humiliation des fragiles en divertissement et la cruauté des connards en business. La seule différence, c’est l’échelle : dans mon histoire, il y avait encore une assiette que je pouvais échanger. Dans la sienne, personne n’a pris le plat.

J’ai la bouche qui brûle encore après quarante ans, mais ce ne sont pas les piments.

 

 

(Accessoirement, je relie très facilement ces deux histoires à celles des trois enfants autistes morts noyés ce mois-ci dans une sortie de groupe. Supposément encadrés, mais morts parce que la vigilance s’était évaporée, que l’institution a confondu accompagnement avec gestion approximative.

Dans les trois cas, ce n’est pas un simple manque d’attention, c’est une complicité, une indifférence active, un validisme assumé : on laisse faire, on détourne la tête, on fait taire ceux qui alertent, parce que regarder en face impliquerait de se lever, de prendre le plat trop épicé, de couper le direct, de surveiller vraiment la baignade. )

 
 
Partager cet article
Repost0

Le cerveau, cette MST mortelle

Publié le par Jeanne-A Debats

Je ne suis pas certaine que l’intelligence soit un cadeau.

Prenez notre dernier chat : brillant, trop brillant. Un cerveau d’ingénieur coincé dans une boule de poils. Il rapporte la balle, nous colle aux basques, a pigé que tel interrupteur « allume les poissons » — et il adore allumer les poissons.

C’est lui, le Machiavel de salon, qui a inventé le plan suivant :
« Moi, je pique le sachet de pâtée. Toi, Leïka, tu le déchires un peu pour que j'ai accès, j’engloutis tout et, comme le cadavre finit toujours sur TA couverture, c’est toi qui prends. »

Résultat : lui banquette, l’autre se fait engueuler. Un stratège.
Et parce qu’il est trop malin, il tente aussi des conneries inédites : ce matin, il a léché un crapaud. Deux minutes de bave et d’yeux exorbités plus tard, c’était passé. Intelligence + curiosité = cocktail Molotov.

Et là, je me dis : l’humanité, c’est exactement ça. On aurait dû étouffer tous les petits futés de la caverne qui ont osé dire : « Eh, et si on faisait mieux que ça ? »
Parce que c’est de là qu’est parti le carnage.

Sans eux, on vivrait encore dans la grotte :
– pas de gratte-ciel, pas de centrales, pas de plastique dans les océans,
– pas de traders qui vendent la planète par actions,
– pas de dépressifs coincés dans des open-spaces à faire semblant d’aimer « la synergie » et le baby-foot d’entreprise,
– pas d’antivax,
– pas de Elon Musk préhistorique lançant son caillou réutilisable en orbite,
– pas de Zuckerberg troglodyte inventant le premier réseau social de signaux de fumée toxiques,
– pas de Macron-chaman expliquant que la grotte est une start-up nation,
– et surtout pas d’IA pour me pondre des punchlines que je pouvais écrire toute seule.

On mourrait à 40 ans, certes, mais entourés de nature intacte, persuadés que le vent est un dieu et la rivière une déesse, au lieu de leur coller un compteur Linky au cul.
Et peut-être même encore capables d’être gentils les uns avec les autres (gentils… sauf quand il fallait partager le mammouth).

(C’est rien : je viens juste de lire les coms débiles sous l’article du Huff sur la librairie Violette & Co. Je désespère de l’humanité tout en surveillant Totor, le génie testeur de neurotoxines bio, au cas où il faudrait quand même filer chez le véto.)

Partager cet article
Repost0

C’est presque de la SF, ou pourquoi je suis tombée dans le tonneau quand j’étais petite 2

Publié le par Jeanne-A Debats

 

La littérature, chez nous, ce n’était pas la vie : c’était mieux que la vie.
Ma mère était la plus virulente – rien ne l’arrêtait – capable de partir dans des colères ou des extases phénoménales pour un bouquin. Mais mon père avait aussi le coup de griffe facile, et il l'avait forcée à admettre que la BD, c'était de l'art. Pas gagné, j'ai lamentablement échoué – avec les 2 – pour la SF,  je l'ai dit déjà.
 
Ce sont eux qui m’ont collé Boris Vian dans les mains, évidemment. En voiture, on chantait «La Java des bombes atomiques» à pleins poumons, ou «Ch’uis snob», ou encore «On n’est pas là pour se faire engueuler». Les refrains « j’y retourne immédiatement » ou « de l’autre côté c’est passionnant » surgissaient comme des ponctuations naturelles de notre quotidien. Ma mère pleurait en déclamant « Il a dévalé la colline ». Vian nous parlait comme son vieux pote Queneau : tous les jours, tout le temps.
J’ai dévoré «Et on tuera tous les affreux» – de la vraie SF, codée, un peu pourrite^^ – ou«J’irai cracher sur vos tombes». 
 
(Au terrible scandale de ma grand-mère, qui trouvait le roman trop cul… comme Le journal d’une femme de chambre – pas de Vian, de Mirbeau. Elle a tenté de me les arracher, mais maman est intervenue :
 
– De deux choses l’une : soit elle comprend ce qui se passe et donc elle EST DÉFINITIVEMENT en âge de le lire, soit elle comprend pas et on s’en fout : si elle se fait chier, elle posera les bouquins toute seule.
 
Je comprenais que dalle, mais je m'en foutais, j'apprenais déjà la suspension d'incrédulité, j’acceptais de ne pas comprendre et de me laisser porter par les mots jusqu'au prochain îlot de compréhension. ^^)
 
Mais «L’Écume des jours», c’était le must. Et si c’est « presque » de la SF, ce n’est pas seulement pour le nénuphar qui pousse dans un poumon, le pianocktail ou la souris philosophe : c’est parce que Vian a inventé un monde avec ses propres lois physiques, biologiques et sociales. C'est un univers parallèle où la poésie et l’absurde sont des forces aussi tangibles que la gravité. La chambre rétrécit quand l’amour se meurt; les objets ont des humeurs; un homme peut se ruiner pour acheter des reliques de Jean-Sol Partre comme si la littérature avait supplanté toute autre religion ; la mort n’est pas un tabou mais un changement d’état, comme on passerait de solide à liquide. C'est un monde qui ne fonctionne pas sur nos règles mais sur celles de l’émotion pure.
 
C’est exactement ça, la science-fiction : déplacer les paramètres de la réalité pour voir ce que ça raconte de nous. Chez Vian, la science est celle des métaphores, l’expérience est sentimentale, et la physique se plie aux exigences de l'âme, du «soul» comme disent les anglais. L’Écume des jours n’est pas un roman « réaliste » : c’est une exploration d’un autre possible , donc, pour moi, de la pure science-fiction.
 
Et comme toute la SF, elle ne parle au fond que d’ici et de maintenant en se dissimulant sous ailleurs et demain.
Partager cet article
Repost0

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 > >>