les dix refus de manuscrits foireux*
(la lettre-type de refus d'Yves Frémion, reproduite avec son aimable autorisation et grâce à la diligence de Sylvie Denis)
On a tous reçu des refus de manuscrit.
Mon premier refus[i], je m’en souviens, même pas comme si c'était hier, plutôt comme si c'était il y a dix minutes :
il était tellement bien tourné que je n’ai pas COMPRIS que le type disait non. Je lui en veux encore un peu, ce qui n’est pas totalement juste, car il essayait :
a) de préserver mon ego[ii]
b) de ne pas se faire casser la gueule.
Statistiquement, il n’avait pas tort, je dois le reconnaitre. L’auteur refusé peut se montrer de réellement désagréable à über désagréable, en passant par la case hyper gênante des sanglots[iii].
Ma philosophie perso à cet égard se résume à : « C’est le jeu, ma pauvre Lucette. » option « On ne peut pas plaire à tout le monde ». Et j’envoie mon bébé à quelqu’un d’autre car j'ai peu d'ego en fait sur les bouquins non publiés. En revanche, je deviens terriblement chatouilleuse dès lors qu'ils sont imprimés, il ne faut pas déconner non plus.
Mais en ce qui concerne les manuscrits, je n’ai jamais eu besoin qu’on m’explique POURQUOI on refusait mon chef-d’œuvre parce que la réponse se résume (elle aussi) à :
« Ça n’a pas plu. »
Ça suffit bien, inutile de verser dans le masochisme (ou le sadisme, selon le côté duquel on regarde) en prime.
J’ai un éditeur chéri qui m’explique de temps en temps pourquoi il pense que j’ai fait de la merde. Mais on se connaît depuis dix ans, je sais qu’il dit réellement ce qu’il ressent, qu’il parle pour lui et lui seul, et que, oui, il regardera vraiment mon prochain opus.
Avec tout autre que lui, la réponse 4 est simplement insultante.
Liste non exhaustive :[iv]
1) « Malgré ses qualités évidentes …’
Tu te fous de ma gueule en plus ?
2) « Ce manuscrit n’a pas retenu notre attention, mais nous restons en contact et ne manquerons pas de déjeuner ensemble dans le courant de l’année afin de faire le point »
Vous n’en entendrez plus jamais parler et vous le savez à l’instant même ou on vous le dit.
3) « Nous n’avons pas reçu votre manuscrit, mais si vous voulez, vous pouvez nous en renvoyer un exemplaire… »
… qui ira rejoindre le premier dans la corbeille à papier.
4) « Toutefois nous vous invitons à nous soumettre votre prochain manuscrit… »
…qui retrouvera les deux autres à l’endroit cité plus haut.
5) « Ne correspond pas à notre ligne éditoriale… »
À moins que n’ayez commis l’erreur ultime qui consiste à envoyer un roman à un éditeur de guides de voyage ou de cuisine (on ne ricane pas, ça arrive tout le temps) ça signifie juste qu’ils n’en veulent pas, inutile de leur renvoyer une lettre prouvant que le livre de Bidule rentre pile dans la même thématique que le vôtre.
6) « Ce n’est qu’un premier tome et vous prévoyez une trilogie, nous préférons éditer l’ensemble de la série »
Revenez nous voir dans dix ans ; d’ici là, si tout va bien, on aura fait faillite.
7) Le refus personnalisé où l’éditeur en verve (parfois carrément goguenard) (parfois réellement pédago) vous explique point par point tout ce qui coince dans votre œuvre, tout en mettant en valeur les points positifs.[v]
Dit comme ça, ça à l’air sympa, mais en fait non quand on y réfléchit trois secondes. C’est un excellent moyen pour vous enterrer à jamais sous les corrections ou vous convertir à la culture de la lavande en basse-Provence. La littérature y gagnera peut-être, mais pas vous.
8) « Nous restons en contact… »
À l’instant même, le siège social de la boîte est délocalisé en Corée du Nord.
9) « Nous ne doutons pas que votre manuscrit saura rencontrer ailleurs son éditeur et son public »
Mais si, mais si, ils en doutent, sinon ils auraient pris.
10) Le meilleur pour la fin :
THE BIG SILENCE OF THE DEATH OF THE FUTURE
Malgré toutes vos tentatives, vous ne parvenez pas à joindre qui que soit par téléphone, aucun accusé de réception de votre manuscrit que ce soit par mail, signaux de fumée ou pigeons voyageurs, en festival l’éditeur est toujours en rendez-vous, et au Salon du Livre de Paris, le stand de la boîte disparait mystérieusement quand vous passez dans son allée.
En gros, cette tactique possède le mérite d’éviter au type de vous dire « Non ». C’est une des plus efficaces mais aussi une des plus frustrantes.
Se faire une raison et se dire qu’au bout de six mois, ce silence signifie :
« NIET.»
Conclusion :
Il faudrait se dire, à mon sens, côté auteur, que rien n’oblige personne à vous lire et que par conséquent « non », juste non c’est déjà pas mal. L’édition n’est pas une démocratie (eh non), ni une ONG contrainte par contrat avec la déclaration des Droits de l'Homme, la Femme et le Lecteur à se fader tout texte qu'on lui présente. Ce n'est pas l’école des fans, tout le monde ne peut pas gagner. Du côté éditeur, un peu moins de langue de bois et un peu plus de couilles/ovaires parfois, ça ne déparerait pas le paysage, non plus.
Ainsi, chers éditeurs et collègues, rien ne vaut la lettre-type. Neutre, factuelle, lapidaire. (Tranchons dans le vif, ôtons le sparadrap d'un coup.)
« Votre roman transfictionnel/ décalogie en 35 tomes/recueil de polésie végane/ compilation de recettes de cuisine alien/ autobiographie commentée par Obiwan Kenobi ne correspond pas à ce que nous cherchons. Bien cordialement. Bisou. [vi]»
Et je dédie ce post de blog à Yves Frémion qui reste dans mon cœur le plus grand déboulonneur de manuscrits de la terre entière.
* Ce sont les livres autant que les refus qui sont foireux, soyons clairs.
[i] Mon deuxième refus, je le dois à Gérard Klein avec « un peu » de retard. Il me demandait un manuscrit et je lui répondis « Mais enfin, Gérard, tu as refusé ce roman, il y a 2 ans. » et lui « Ah oui, il ne devait pas être bon. Oublie ça. »
Merci, mon chou, oublions aussi que depuis deux ans une autre maison l’a publié et qu’il a remporté un prix. Toutefois, on peut reconnaître à Gérard Klein ces deux qualités ambigües :
a) il n’en a rien à braire de l’ego de l’auteur
b) il n’a pas peur de se faire casser la gueule.
Quelque part, c’est reposant, ce côté Chuck Norris de la littérature de genre.
[ii] Qui ne risque rien, il est boosté à l’uranium enrichi aux céréales complètes et aux protéines d’onglet de bœuf de Chalosse.
[iii] Mention spéciale à l’auteur qui, un jour, envoya son manuscrit à une célèbre maison d’édition, le tout accompagné d’une lettre où il déclarait que « publier ce roman serait réaliser le vœu ultime de sa maman mourante ». Devant le refus de l’éditeur peu ému, le type fit suivre du certificat de décès. Un must.
[iv] Évidemment, certaines lettres peuvent très bien jouer le combo. Genre refus 1 + refus 4 + refus 9.
[v] S’il en trouve et dieu sait qu’il cherche. Mention spéciale à « Vous avez une voix » qui ne veut rien dire mais qui fait toujours bien.
[vi] Le bisou n’est pas totalement nécessaire, mais un peu de tendresse dans ce monde de brutes…