Comme je ne suis pas un jeune auteur des années 90, comme je n’ai dans ma vie joué que deux ou trois fois à des jeux de rôles ou des jeux vidéos*, comme je ne suis entrée dans le fandom qu’en 2001**, comme j’ignorais même jusque là qu’il existait des fous pour faire des critiques sur les livres de SF que je lisais en cachette de ma mère, comme je ne lisais pas Le Fleuve Noir***, Roland C. Wagner n’a eu aucune influence ni sur mon écriture, ni sur mes lectures. Rigoureusement aucune. Lui, je l’ai lu dans ces eaux-là (celles de 2004) en me demandant qui était « ce petit jeune qui écrivait aussi bien qu’Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach ».
On ne peut pas être plus naïve. Plus newbie.
Roland pour moi, ça a d’abord été le membre d’un forum que j’ai contacté par messages privés pour lui dire de bien vouloir se calmer. Rô, à ce moment-là, était entré dans une de ses phases de noire colère dont il était capable, et il le faisait savoir partout. Avec fracas.**** J’allais apprendre que c’était un état de fait relativement récurrent. Je suppose que Rô fut assez étonné de se faire tirer les oreilles comme un galopin par une inconnue à lunettes. Assez en tout cas pour ne pas m’envoyer bouler et finir la conversation sur le thème « C’est lui qui a commencé, Madame ! ». C’est là qu’on a ri, qu’on a commencé à causer minimum une fois par semaine, que j’ai continué à lui tirer les oreilles sporadiquement.**** * Putain, ça fait 10 ans maintenant, j’ai l’impression que c’était hier, quand je pense à ceux qui le connaissaient depuis son adolescence…
Même si je l’ai croisé IRL*** *** à cette époque-là, je n’avais jamais fait le lien entre cet homme que je voyais de loin et le sale gosse que je calmais quelquefois online.*** *** *
Finalement, je me dis que moi aussi je l’ai connu adolescent, puisqu’il n’a jamais vraiment cessé de l’être.
Et ça c’était chouette : comme il me le disait récemment « Toi, Jeanne, tu auras toujours seize ans », je crois me souvenir que Sylvie a rajouté un truc du genre que ça me ferait toujours trois ans de plus que lui, à moins que ce soit Lucie Chenu ou MF, sais plus. Voilà, c’était un formidable compagnon de cour de récré et de beuverie.
Même si c’est pour Rô que j’ai écrit La vieille Anglaise, pour une antho qu’il n’a jamais sortie, même s’il m’a fait monter pour la première fois sur une scène de festival, même si on a discuté pendant des heures de bouquins, de narratologie, de littérature, de rock, de fringues, de physique et de métaphysique, même si Rêves de gloire m’a assise les yeux dans le vague, même si depuis je rêve d’aller à la Pointe Pescade, ce ne sera pas pour ça que je me souviendrai de lui.
Je me souviendrai des fous rires et des engueulades, de sa mauvaise foi de fer et son intégrité de titane, je me souviendrai de la vraie amitié et de ses yeux qui frisaient, de cette façon incroyablement tendre et douce qu’il avait d’être ami avec les filles, en toute masculinité et sans la moindre ambigüité macho, de cet amour qu’il avait pour sa compagne. Je me souviendrai de ça, parce que les icônes, Rô, il avait horreur de ça.
Et que je l’aimais.
* Avec un pistolet sur la tempe ou la promesse de pizzas décongelées
** Et par des voies largement tortueuses
***Ben non, pas à ce moment-là. C’est ballot hein ? J’aurais pu avoir « l’Odyssée de l’espèce » en édition originale.
**** Sur le forum où je croisais, ça ne se faisait pas. (Enfin pas trop, pas en mélangeant l’œuvre et l’homme.) Et je tenais à ce que ça dure.
**** *Y’avait de quoi faire.
*** ***In Real Life
*** *** * Il n’y a pas d’autre mot.
*** *** **Avouons que quelquefois je l’ai chaudement encouragé aussi^^