Les sept sonneries que j'entends à propos de piratage

Publié le par Jeanne-A Debats

(ceci est un albatros, normal on est à la mer)

(ceci est un albatros, normal on est à la mer)

 

 

 

Mes bien chers frères, mes bien chères soeurs,

Qui crevez de faim[1] avec moi tous en choeur.

***

Quand de notre clocher, j’entends sonner le bronze

Qu’en chaire l’on conspue[2] l’infatigable gonze

Qui jusque dans nos bras pirate nos beaux livres

L’envie de vous secouer me saisit, j’en suis ivre.

Il serait temps de prendre une injection salée

De ce que l’on appelle (à tort ?)  réalité.[3]

 

 

1) 1 téléchargement = 1 vente perdue

Cette équation est débile et ne repose sur rien. Sauf l’angoisse.

Perso, au tout début, quand c’était pas totalement interdit, je piratais.[4]

 Je peux vous assurer que JAMAIS je n’aurais acheté ce que je piratais[5]. En revanche, il m’est arrivé ENSUITE d’acheter quand j’avais envie de soutenir.

Tous ceux que j’ai vu pratiquer le piratage, à l’exception de quelques malades mentaux qui de toute façon ne liront jamais tout ce qu’ils ont téléchargé [6], ont eu ce genre de pratiques.

 2) Les pirates sont des enfants gâtés qui préfèrent payer leur I-Phone que les oeuvres d’art.

Les pirates sont en général des jeunes, on connaît le taux de chômage jusqu’à 30 ans. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, et mieux vaux s’offrir l’accès illimité à la culture, qu’un bout ridicule de culture par mois.

C’est juste des maths.

3a) Le piratage est la mort de l’auteur.

C’est surtout d’abord la mort de l’éditeur.

Je ne dis pas qu’il faut le laisser crever, mais s’il pratique en numérique des prix imbittables, il cherche.

Petite démo :

Sur un de mes livres jeunesse (que je ne nommerai pas) le ratio achat papier / achat numérique est de 1000 exemplaires papier pour 0,5 numérique EN UN AN D'EXPLOITATION.

(Je ne déconne pas : j’ai les chiffres sous le nez, validés par le comptable de cette maison d’édition qui ne rigole que chaque fois qu’il lui tombe un oeil.)

Le livre papier est à 16 euros environ, le numérique à 11 euros

Sur l’Héritière, mon dernier roman aux éditions Actusf, les achats numériques ont dépassé les 500 exemplaires en MOINS de TROIS MOIS.

le livre papier est à 18 euros, l’exemplaire numérique à 5, 99 euros

Cherchez l’erreur.

3b) Qui vole un livre numérique arrache le pain direct de la bouche de l’auteur.

Eh ben non.

Si on vole un exemplaire papier, LÀ, on vole directement l’auteur. Cet exemplaire contenait un pourcentage qui devait lui revenir à coup sûr. Mais en numérique ? Le fichier est toujours en vente non ?

 

Edit : Yal Ayerdhal, qui est un pote en plus d'être un dieu vivant de la littérature de SF, me dit que je m'emmièle les ailes dans les palmes :

Apparemment, l'auteur ne perd même pas sur un exemplaire papier volé : c'est le libraire qui casque.

4) Qui vole un livre numérique augmente drastiquement le futur prix des futurs livres.

Je me demande d’où ça sort, ça. Je ne vois pas sur quels calculs on peut avancer une prédiction pareille. Les éditeurs sont débiles d’accord [7] , mais d’ici qu’ils mettent un livre à 30 euros sur ces bases, il neigera en enfer ou on leur aura offert de jolies chemises aux manches nouées dans le dos.

5) Le piratage a tué la musique, le livre suivra.

Non, le piratage a tué les Majors qui faisaient éhontément leur beurre en vendant jusqu’à 30 euros des CD qui leur en coûtaient 1. Dès qu’une offre légale, normale, au prix abordable, a vu le jour, l’industrie de la musique a relevé son joli museau trempé de larmes et de vodka.

Edit : Yal Ayerdhal, qui est un pote en plus d'être un dieu vivant de la littérature de SF, me dit que je m'emmièle les ailes dans les palmes :

En fait, les Majors, ça va merci, elles ont envoyé leurs auteurs au charbon pour se battre contre les pirates mais au final, ce sont ces mêmes auteurs qui ont vu leurs revenus baisser.

 

6) Les DRM protègent du piratage.

Erreur : les DRM POUSSENT au piratage. Quand pour la troisième fois au moins, le lecteur honnête ne peut PAS lire son fichier qu’il a tout à fait légalement acheté, il craque. (Lui et le fichier)

7) Il faut un système de surveillance des pirates.

Vous n’en avez pas un peu marre de Big Brother ? Vous êtes vraiment sûrs que vous désirez échanger les 2 euros que ça va (éventuellement) (mais sûrement non) protéger contre votre vie privée ?

 

 

Conclusion :

Mes chers , chères collègues,

Regardons également un poil la vérité en face, nous sommes aussi peu piratés que nous vendons. Si nous nous lançons en groupe à la poursuite du vilain pirate, ce ne seront pas nos 2 euros que nous défendrons, mais ceux d'Amazon et de Musso. Eux oui, ils sont massivement piratés, et franchement, je ne verse pas une larme, même imbibée de vodka.

Mesdames et messieurs les pirates,

Foin de vers, ici, je ne vous encourage pas à pirater, soyons clairs.  (Même s’il reste en moi une vieille anar qui pense comme jadis : « Vous ne pouvez pas acheter mes livres ? Volez-les ! » [8]) (Parce qu’un écrivain ça veut manger certes, mais ça veut être lu. ) D’abord parce que ce n’est pas légal et que je défends les lois de cette fichue république dont je suis, il faut l’avouer, l’un des agents dévoués. Et puis 2 euros, c’est 10 chouquettes pour mes mômes. [9]

Et ça représente en fait une somme de boulot[10] de ma part dont vous n’avez pas idée.

Mais je comprends. Et surtout je comprends que tant que le marché crispera sur des bases obsolètes, il n’y a aucune raison valable que vous arrêtiez de pirater.

 Je ne vous bénis pas donc, mais je vous absous.

Allez en paix.

Ite missa est.[11]

 

 

[1] Attention : Pathos !

[2] Oui, enfin, parmi vous, j’aimerais bien connaître le nombre de ceux qui n’attendent pas l’arrivée du dernier épisode de GoT ou de True Blood dans leur torrent. (Pour rire)

[3] Pardon, je ne le ferai plus, c’est juste que je suis en train de corriger Timothée Rey. (J’me comprends)

[4] Il y a prescription, Monsieur l’Agent.

[5] J’ai arrêté, Monsieur l’Agent, dès que c’est devenu illégal. Je suis professeur, je suis censée donner l’exemple. Mais c’est uniquement par respect maladif,  et souvent pervers, de la loi et du bien collectif.

 Par exemple, je ne me sers pas non plus de la photocopieuse du collège à mon usage personnel. ^^

[6] Et du coup, ça revient à ne PAS avoir volé le livre, si, si, réfléchissez ^^

[7] Non, Mireille, Denis, Jérôme, je déconne, je vous aime, smourch.

[8] Enfin c’est comme ça, avec cette philosophie, que la librairie au coin de la Sorbonne coula. Elle se laissait voler par les étudiants désargentés.

[9] Pathos bis.

[10] Pathos ter.

[11] Paye ta réforme des collèges.

 

Publié dans Mauvais esprit

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
G
Beaucoup de choses auxquelles j'adhère, sauf : " Les pirates sont en général des jeunes ", le beau cliché. Les niveaux de pratique du piratage dépendent sans doute en partie de l'âge, mais pas seulement. Il existe pas mal de milieux socio-professionnels dans lesquels on pirate allégrement, et sans s'en cacher. Et ce quel que soit le niveau de salaire. Évidemment sans doute beaucoup moins chez les enseignants, car l'enseignant est censé éduquer. Attention, je ne dit pas que les enseignants ne piratent pas. Mais que sans doute, ceux qui pratiquent n'en parlent pas autant. (Je précise qu'en plus de 30 ans de carrière, j'ai côtoyé (directement ou via mon conjoint) de près les petits mondes des geeks et ingénieurs, de l'industrie, du bâtiment et de l'enseignement (primaire et secondaire). Ce n'est évidemment qu'un échantillonnage relatif à ma propre vie, mais pour ma part, les comportements sont suffisamment explicites et marqués pour que je m'élève contre le "seuls les plus démunis piratent". Il ne faudrait surtout surtout pas croire qu'un salarié à plusieurs milliers d'euros par mois ne pirate pas ou n'abuse pas du travail au black, ce serait une lourde erreur...
Répondre
J
Non mais tout le monde pirate comme les patients du docteur House "tout le monde ment". Mais là nous parlons de piratage de LIVRES et désolée, là ce sont des jeunes (parfois friqués, certes), les vieux même pas riches préfèrent en général le papier
F
Bonjour,<br /> <br /> La petite contribution d'un inconnu arrivé ici par hasard, ou plutôt un message pour les éditeurs qui pourraient passer par là on sait jamais...<br /> Pour mes achats numériques, n'étant plus jeune et pauvre, j'achète ce qui m'intéresse et est disponible sans DRM. S'il n'existe que des versions DRMisées, je cherche ailleurs, et c'est très facile à trouver, gratuitement, sur le marché non légal.<br /> PS : Merci pour votre texte si bien écrit et plein d'intelligence!<br /> PS2 : Les pirates sont des gens qui volent des bateaux et tuent des gens, pas ceux qui partagent la culture!
Répondre
C
Tout est dit, et très clairement, merci Jeanne-A.<br /> Il manque un argument au point 6 : les DRM augmentent le prix de revient de l'ebook, et donc force les plus démunis à voler.
Répondre
Y
Lire des livres sans les payer, c'est le mal ! Fermons les bibliothèques !<br /> <br /> Perso, j'aime encore trop le papier pour pirater des livres. Même si j'avoue que j'utilise les bibliothèques et prêts entre amis, étant une acheteuse compulsive quand on me lâche dans une librairie, on a du mal à tout stocker.
Répondre
C
Amen <3
Répondre
D
Magnifique, surtout la citation finale ;)
Répondre