Chroniques funèbres
La Terrible Grand-mère du Sud-Ouest (hier, au téléphone) :
–– Ma chérie, vraiment, toutes mes condoléances ! Ton père et moi, nous nous associons à ton chagrin et celui de ta famille.
Moi :
–– Gné ?
La Terrible Grand-mère du Sud-Ouest :
–– Ça lui faisait quoi, 92 ans ?
Moi (ayant tilté) :
–– Oui, mais il ne les faisait pas.
La Terrible Grand-mère du Sud-Ouest :
–– Oui Garcia Marquez a 86 ans, lui…
Moi (agacée) :
–– Marquez n’est pas très frais non plus, Maman, il a un cancer depuis plus de dix ans.
La Terrible Grand-mère du Sud-Ouest :
–– Oh non ! Le pauvre ! Et il VOUS* reste qui, de cette génération ? ?
Moi :
–– Il nous reste Matheson, Vance et Pohl.
La Terrible Grand-mère du Sud-Ouest (sans pitié) :
–– Les petites familles, ça part vite.
Ray Bradbury est mort et le mainstream ne s’en porte pas plus mal…
Bradbury, pour moi ce fut d’abord la superbe illustration de Bilal pour « Chroniques Martiennes » dans la collection magnifique Mille Soleils. Un homme en combinaison spatiale contemplait une fusée ventrue posée sur la colline toute proche. Je l’avais reçu en même temps que « L’Enfant de la Haute Mer » de Supervielle pour un noël quelconque.
Les parents parfois font fi de la prudence la plus élémentaire et ensuite ils persiflent.
Certaines nouvelles m’ont laissé un souvenir ineffaçable : « Le Matin vert », « Rencontre nocturne », « Usher II », (que j’avais heureusement lu APRÉS Usher I**, d’une certaine façon c’est Bradbury qui m’a fait comprendre Poe) « l’Été de la fusée ». Mais aussi dans d’autres recueils ; « La Maison » par exemple ;
Une maison intelligente survit à la disparition de ses occupants lors d’un conflit nettement atomique. Elle ignore qu’ils ne sont plus là, que seules leurs ombres découpées par les rayons gamma contre sa façade persistent encore pour témoigner de leur passage.
Chroniques n’est pas mon livre de SF préféré au monde. Si j’adorais la poésie de Bradbury, il lui manquait, pour totalement me séduire, le solide fond technophile de ses contemporains. J’attends encore celui qui me chantera le corps électrique tout en m’expliquant le fonctionnement des puces.
Il semble que le dosage soit extrèmement complexe et que le mélange justement déplaise parfois, ou déconcerte.
À l’époque, eurent lieu quelques empoignades à ce sujet et d’aucuns ricanaient de la « Physique Bradburienne » tandis qu’il les renvoyait dans leur ligne des 22 en les traitant plus ou moins d’ingénieurs tâcherons.
Reste que les machines comme des bijoux steampunk, insectes d’or et de cuivre courant sur les tables d’argent, volant sur les tubes d’acier bleu, plantés devant les plages mortes de Mars, ça c’est Ray Bradbury. Il fait sans aucun doute partie de ceux qui m’ont collé cet amour de la joncaille qu’un de mes lecteurs favoris me reproche souvent.
Je vais le regretter, cet homme.
Requiescat in Bibliotheca.
* Notez le "vous" d'insistance.
** Si j’ose dire.