Harcèlement à l'eau

Publié le par Jeanne-A Debats

Harcèlement à l'eau

Je ne sais pas bien par où commencer, il y a tant à dire...

J’avais environ 8 ans. À l’école, il y avait deux petites filles, elles étaient jolies, arboraient de longues tresses enrubannées et de grandes jupes colorées sous les blouses à carreaux qu’on portait encore dans ma primaire de campagne. Elles étaient gitanes. Le jeu dans la cour de récré était de les toucher, puis d’agiter sa main d’un air dégoûté avant de l’essuyer sur la blouse d’un copain en criant « T’as Baron [1] ! ». C’était leur nom de famille.

Les gosses faisaient comme s’ils se refilaient la peste ou quelque chose d’affreux de ce style. Je ne supportais pas ça, je n’avais que 8 ans, mais je trouvais déjà qu’ils étaient odieux, les autres. Ma tactique, c’était de me faire toucher puis de disparaître dans la salle de lecture. Ça arrêtait le « jeu » puisque j’étais censée « refiler » mais que je le ne faisais pas. Une fois un garçon m’a frappée pour ça, mais je me suis rendue et j’ai été punie.

« Parce qu’une petite fille ne se bat pas  [2]».

Plus tard en colo, pour me punir des garçons m’ont « touchée » et les moniteurs ne réagissaient pas.

«  Parce que c’était moi qui les provoquais ».

A 17 ans à l’internat, j’ai été obligée de casser la figure à la meneuse d’une bande de filles qui voulaient me traîner nue dans la cour de récré après m’avoir collée sous la douche, juste parce que j’étais nouvelle.

(Devant l’échec du frontal, la rouste ayant été dissuasive au moins pour ça, elles se sont attaquées à mon lit et l’ont rempli de boue et de merde. J’ai dormi dans des couvertures toute cette semaine-là [3])

(Et j’ai été collée. Pour la rouste.)

(Je hais le bizutage de haine pure.)

Et jusque tard dans mon existence, encore il y a moins de trois ans, quand j’ai été harcelée, le harceleur était toujours vaguement excusable. La victime souvent punie, surtout si elle avait eu le front de protester, ou de rendre coup pour coup.

Ce qu'il faudrait réaliser, c’est que notre société toute entière encourage et protège le harcèlement. Et que la victime a toujours tort de faire du bruit.

À tous les niveaux.

En famille.

À l'école.

Dans la rue.

Au travail.

On s’en rend compte seulement MAINTENANT, c’est tout. Et encore, certains harcèlements [4] sont toujours difficiles à faire admettre en tant que tels [5].

Inutile, les gens, de tomber sur les profs, ils sont comme vous, comme nous. C’est à dire que soit ils comprennent à 8 ans que c’est dégueulasse, soit ils laissent faire, comme de bons protecteurs de harceleurs que sont beaucoup d’entre nous, soit ils ne voient pas ce qui se passe en dessous de l’eau.

Parce que la victime n’a PAS CRIÉ.

NE S’EST PAS BATTUE.

Et que SURTOUT, SURTOUT, personne à côté n’a dit STOP.

D’où le clip qui énerve tant de mes collègues. [6]

Eh mais, chers collègues, c’est pas scandaleux ce clip ! L’instit ne capte rien parce qu’on ne lui laisse rien capter. Une classe, c’est comme une mare étale, il faut beaucoup d’attention (et ne pas avoir de cours à donner ) pour distinguer les brochets qui marinent en dessous.

Ce qui serait scandaleux, ce serait si elle NE FAISAIT rien en VOYANT.

Ce n’est pas ce que raconte ce clip qui dit seulement à la petite fille de 8 ans :

« Tu sais, Bichette, c’est dégueulasse ce que tu vois se passer dans le dos de ton instit. Ne détourne pas les yeux. Ne laisse pas faire. Agis. »

 

 


[1] Changé pour préserver l’anonymat de ces deux femmes qui méritent d’avoir la paix après toutes ces années.

[2] Nous parlons des années 70.

[3] Plus tard, animatrice, on m’a fait presque le même coup. Je l’ai raconté plus tôt. Marrant comme les méthodes des salauds sont toujours les mêmes.

[4] De rue, au hasard.

[5] Oui merci, Perceval.

[6] Alors, c’est vrai que les gens nous tombent dessus, sur notre supposé « laxisme », sans parler de ceux qui nous accusent direct de sadisme, mais ils le font toujours, de toutes façons. Remettez vous.

 

 

 

Militance

 

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M
Yep... Et ce qu'il dit ce clip, c'est en plus le coeur du problème. J'ai vu des profs s'indigner qu'on n'y voit pas en toutes lettres : "va en parler aux autorités compétentes". Or c'est totalement secondaire à mes yeux par rapport au fait, pour un enfant spectacteur, de sauter le pas et de se placer du côté du harcelé.<br /> Parce que ce qui transforme une méchanceté individuelle en harcèlement, c'est l'effet de groupe. Le fait que le groupe participe, ou du moins ne s'oppose pas, renforce le meneur. Le groupe finit par se structurer autour du harcèlement. Celui qui participe va s'intégrer, celui qui s'oppose devient l'ennemi. Chacun a peur d'être rejeté par tous les autres. Ils se tiennent mutuellement dans un cercle vicieux social qui fait d'eux soit des parias, soit des salauds (un choix cool quand on a 8 ans, vous trouvez pas ?). (Et c'est pour ca que parmi les harceleurs, on trouve un nombre non négligeable d'ex-harcelés, ils ont ainsi la paix quitte à détruire quelqu'un d'autre).<br /> Casser l'effet de groupe, c'est casser le harcèlement. Cette prise de conscience des enfants, c'est ce qu'il y a de plus important.
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J
Voui :)
Y
J'ai personnellement autorisé mes filles à rendre les coups, ou à frapper quand elles se font emmerder... Si jamais elles venaient à être punies, il faudrait qu'on m'explique pourquoi ça a été à elles de réagir et qu'aucun adulte n'a réagi avant... <br /> (Et j'ai déjà calmé des gamins de toute ma grandeur d'adulte, quand il y avait abus, justement... avec la grosse voix bien énervée, les petits cons qui tapaient, cassaient les affaires des autres ont bien pris peur, non mais...)<br /> Quant à la vidéo, je la trouve assez vraie.<br /> Perso, étant collégienne, j'avais une prof qui voyait ce qu'il se passait et ne faisait rien... et en effet, ça, c'est horrible. Surtout, quand après que les petits cons de ta classe t'aient piqué ta trousse, elle efface le tableau en te répondant, quand tu dis que tu n'as pas eu le temps de finir d'écrire, sans crayon, c'est dur, que t'avais qu'à te dépêcher...<br /> Cette prof avait peur des élèves... et pourtant, c'était des petits cons, mais pas si méchants...<br /> Pour que ces actes cessent, ça a duré deux ans, il a fallu que je casse moi même mon équerre, que j'aille trouver un surveillant en lui disant "machin a tapé mon cartable et a cassé ça"... Parce que quand ils me tapaient, moi, que je pleurais les 3/4 des récréations, (parce que je suis d'origine chinoise, que j'avais loupé 3 mois de cours en 6ème, que le journal du collège avait voulu faire un article là dessus, que mon nom de famille ressemblait à "chien"... bref...), là, dans ces moments là, quand bien même j'allais les voir, rien n'avait été fait. Rien. Peut-être ne me croyaient-ils pas, peut être que pour eux, j'étais juste une chouinarde... Alors certes, ils ne m'ont jamais cassé la gueule à proprement parler, j'ai pas eu de bleu physiques, mais j'ai eu mal... Bousculades, insultes... ça suffit.<br /> Ce jour là, avec cette histoire d'équerre, j'ai enfin pu passer la barrière "surveillants" et rencontrer la directrice... Parce qu'on n'ose pas aller parler aux gens qui peuvent vraiment agir, quand on est mômes, parce que je ne voulais pas embêter mes parents avec ça (ma mère a compris que quelque chose se passait quand j'ai fait un doigt d'honneur à quelqu'un qui m'avait emmerdée dans le car... et qu'elle m'attendait à l'arrêt. Elle commençait à me gronder quand j'ai craqué... ça a aussi fait bouger les choses, l'appel direct aux parents...)<br /> Bref... La directrice a menacé le meneur de lui éclater la tête contre les armoires en métal derrière son bureau... ce fut fini. J'ai pu respirer et recommencer à aimer aller en cours...<br /> Des années plus tard, je l'ai revu, ce gars, il s'est excusé, de lui même, venu me parler, dire qu'il était con... Expliquer ce qu'il ne considérait pas comme pardonnable, par le fait que ses parents divorçaient à l'époque... Lui encore, c'était une vieille embrouille de CM2, je peux presque comprendre, mais ses copains ? 10 gamins contre une gamine ?<br /> Je n'ai plus jamais eu ce genre de soucis ensuite, mais pourtant, j'ai beau avoir une grande gueule, je me sens encore "victime incomprise", ça a beau être "bénin", ça n'aide pas à la construction de soi.
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J
Je n'ai rien d'autre à te répondre que : OUI.<br /> (Euh... enfin si j'ai plus long ;) )<br /> Et en effet, c'est terrible quand un prof voit et ne fait rien, pour moi il faillit gravement à sa mission et ce n'est pas attaquer TOUS les profs que de dire :<br /> "Eh parmi vous, y'a des connards !"<br /> (Ah bon ? Les profs font partie de l'humanité ? o_o )<br /> (Je peux même te dire un secret : il existe également des profs sadiques sisi, ou simplement incompétents.)<br /> Et ce n'est pas les défendre non plus (les profs) que de nier qu'il y ait des connards parmi eux. Là, qui plus est, dans ce docu, (certes un peu nunuche comme le faisait remarquer un de mes collègues), c'est pas la question des profs connards, c'est la question de la sidération des spectateurs enfants, qui ne bougent pas, terrorisés à l'idée d'être la prochaine cible, marchant pour se rassurer sur eux-mêmes à la vieille stigmatisation des victimes, que nous tous, l'ensemble du corps social, leur inculquons. Et puis le vieux "pas de vagues" aussi, suivi de près par le trop fameux "Malheur à celui par qui le scandale arrive". <br /> Et le syndrome du témoin impuissant.<br /> C'est ainsi que nous laissons les femmes être agressées dans le métro.<br /> Et celle de l'usinage et de l'endurcissement.<br /> C'est ainsi que nous acceptons les bizutages institutionnalisés dans nos grands écoles.<br /> Alors, la profession des profs, MA profession, au lieu de la ramener sur un truc qui ne les attaque pas en vrai, ils feraient mieux de s'occuper de leurs élèves terrorisés plutôt que se draper et se rendre anthipatiques en niant le problème, exactement comme les toubibs nient la maltraitance médicale.<br /> Je ne veux plus entendre :<br /> Not all teachers.<br /> Pas plus que :<br /> Not all medics.<br /> Bisou<br /> Jeanne