Jingle Hells (track one)

Publié le par Jeanne-A Debats

Un conte de Noël pour fêter cet été si pourri qu'il ne parvient même pas à l'être 24h sur 24h :

nouvelle  dans le cycle de Navarre, sans Navarre,

mais avec Lucifer et Alphonse le Biker en guest morning stars...

(Un peu de ACDC ? Ou de Wlakwithneydead ?)

(Un peu de ACDC ? Ou de Wlakwithneydead ?)

J’ai l’impression que les anges font de la rétention anale, en prime de leurs petits problèmes de définition de genre. Sinon, ils auraient renoncé à cette idée : réclamer une histoire de Noël de mon cru.

Il n’y avait que moi qui n’avais pas encore apporté ma contribution à l’Anagnose Mielleuse. Je rajoute « mielleuse », vous vous en doutez. L’esprit de Noël, ça n’est pas vraiment ma partie. C’est même ma contrepartie, si j’ose dire. Mais bon, le privilège de contempler ce grand échalas de Gabriel, la plume basse et l’auréole en berne, se dandinant dans mon salon et osant à peine poser la question, n’est pas donné à tout le monde. Rien que pour cela, ça valait le coup. D’habitude, il me snobe d’une hauteur qui mériterait à elle seule sa catégorie olympique, c’était presque orgasmique que de le voir embarrassé. J’ai donc accepté, ne serait-ce que pour l’air délicatement consterné qu’il arbora ensuite.

Quand on ne sait pas ce qu’on veut…

Je hais Noël. J’abomine Noël. J’exècre les vitrines dégoulinantes de faux ors et de victuailles sous le nez des petites marchandes d’allumettes roumaines à l’agonie, l’odeur du sapin mourant dans le séjour, le cri désespéré des volatiles sacrifiés en masse, les familles stressées qui agressent les postières parce que le jouet du petit n’est pas encore arrivé, la dispute obligatoire du jeune couple dans la voiture avant le réveillon chez les beaux-parents, la vexation du cousin oublié dans la distribution générale de cadeaux improbables, les programmes télé intolérables, sans compter les suicidés de minuit, l’heure où la solitude vient les toucher pile entre les deux yeux. C’est à Noël itou que les boutiques de cochonneries ornementales font leur plus gros chiffre d’affaires et rien que cette raison devrait suffire à faire effacer cette date purulente du calendrier. Ce n’est pas tant que j’aime le monde dans son ensemble, non, vous vous en doutez bien, c’est seulement que j’ai horreur du mal stupidement traditionnel.

En revanche, j’aime bien les motards.

Notamment, les vrais. Ceux qui arborent des favoris à faire damner une petite maîtresse dix-neuvième (siècle) et conduisent des Harley capables de réveiller l’intégralité du douzième (arrondissement) au démarrage. Même s’ils ont leurs défauts, eux aussi : entre autres celui de cogner parfois à mort la blondinette décolorée qui orne l’arrière de leurs chromes, ou de l’empêcher d’avoir sa propre moto. Sans doute ont-ils peur qu’il lui pousse un cerveau après qu’elle ait appris à distinguer une clé à pipes d’un kit de tunning. Il est vrai que le risque est grand, en cas de floraison inopinée des synapses, que la jeune dame se trotte en compagnie d’un individu plus recommandable.

Je n’en déteste pas pour autant les wannabe motards ; ceux-là ont un scooter centenaire qu’ils garent deux rues plus loin que leur zinc de prédilection dans lequel ils feront une entrée triomphale, un casque rutilant sous le bras. J’ai un faible pour les minables : en cas de crise, ils sont capables d’agir de façon passionnante. Le dark minable, c’est carrément le top, si vous me passez toutes ces expressions modernes (En tout cas, on m’a affirmé qu’elles l’étaient.). Le dark minable recèle des ressources insoupçonnées refoulées depuis des années et qui ne demandent qu’à être employées à mauvais escient. Qui supplient même pour l’être.

C’est l’histoire d’un vrai motard et d’une bande de nuls que je vais vous conter.

Il était donc un vingt-quatre décembre, dans la banlieue parisienne, à Montreuil-sous-Bois, plus précisément. L’horloge se traînait aux alentours de dix heures du soir. Il avait neigé la veille, mais la température s’était radoucie entre-temps si bien qu’une boue noirâtre avait remplacé très vite le blanc manteau de rigueur. On pataugeait dans la bouillasse répugnante, transi de froid et d’humidité malsaine, les joues rougies et la goutte au nez.

Au bar de L'Escale, le vieil Alphonse, ancien Hell’s Angel garanti sur facture et rangé des bécanes depuis plus de trente ans, avait renoncé à passer la serpillière sur le carrelage souillé. De toute façon, il n’attendait qu’une chose, cet homme-là : que les trois jeunes crétins boutonneux déguisés en bikers d’opérette veuillent bien libérer son café de leur présence. En d’autres temps, ces guignols n’auraient même pas osé lui demander l’heure ; là, ils ne cessaient de réclamer d’autres tournées de la bière la moins chère du comptoir, tout en ne se bousculant guère pour régler l’addition.

Alphonse sentait la moutarde monter à son nez olympien qu’il avait cassé en plusieurs endroits et à différentes époques. Lui, il ne rêvait que de l’oie rôtie qui l’attendait chez Déborah sa vieille copine, en compagnie de Tafa, son fils adoptif, et la femme de ce dernier qui, elle, attendait plutôt un bébé. Alphonse était tout chose chaque fois qu’il jetait un œil gêné à ce ventre de plus en plus rond. N’empêche, il crevait d’envie de retrouver sa famille et ce soir-là, il avait espéré fermer plus tôt. Le réveillon, rien à battre : Déborah et Céline étaient juives, Tafa, très vaguement musulman quand il y pensait, et, lui, Alphonse ne croyait ni à Dieu ni à …

Passons.

Au lieu de cela, il avait hérité des trois « K » que Driss le patron du bar d’en face avait dû se résigner à virer pour la énième fois. Il y avait Karl le gros black, laid et boutonneux qui haïssait l’univers entier. En face de lui trônait Kévin, son clone gaulois mais en version faf, rasé jusqu’à l’intérieur de la tête, tellement niais qu’il ne s’était toujours pas aperçu que ses deux meilleurs potes – et les seuls en ce monde – appartenaient à deux genres dont il prétendait désirer ardemment la disparition de la surface de la Terre. Kamel, le joli petit beur, assis en bout de table, l’œil bleu vert et le cheveu de jais, était doté des rares neurones de la meute, mais il en faisait volontiers profiter ses deux camarades.

Le CPE de leur ancien collège, les surnommait les « trois cas ». Les mains courantes les concernant soutenaient plusieurs fois le plafond du commissariat voisin mais personne n’avait encore pensé à transformer ces pilastres de papiers en plaintes en bonne et due forme. Ils n’étaient même pas parvenus à se rendre suffisamment nuisibles.

(To be continued)

Publié dans Nouvelles

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