Jingle Hells (track three)

Publié le par Jeanne-A Debats

Jingle Hells (track three)

Alphonse se rua dans l’escalier, son cran d’arrêt en main. À mi-hauteur, il l’ouvrit, le claquement froid de la lame sortante lui arracha un sourire nostalgique. Il n’avait pas dû s’en servir autrement que pour découper du saucisson depuis au moins vingt ans. Il gravit les dernières marches à pas comptés espérant arriver discrètement tout en épargnant son palpitant usé qui commençait à faire des siennes. Mais il refusait net d’envisager ce dernier point et mettait avec résolution son essoufflement croissant sur le compte de la concentration.

Quand il parvint sur le palier, il se colla contre le mur et jeta un œil à travers la vitre qui ornait un genre de porte coupe-feu close et marquée du sigle du risque biologique. Les trois cercles imbriqués les uns dans les autres ne lui disaient rien, il s’en moqua donc. De même, il négligea la serrure palmaire qui interdisait le passage au personnel non autorisé et qui avait été désactivée d’un coup de coude rageur par Kévin, quelques minutes plus tôt. J’avais un peu aidé : en général, ce type de circuit effectue son shut-down en position fermée.

De l’autre côté, une nouvelle balle siffla et se perdit à proximité. Alphonse sursauta, mais se détendit lorsqu’il constata que le panneau avait arrêté le projectile. En vitupérant ferme, il se coucha pour ramper dans l’entrebâillement de la porte. Cette fois, rien ne vint s’écraser près de lui, on ne visait pas dans sa direction.

Sur les coudes, il parvint en pestant dans une grande salle d’attente au lino d’une propreté redoutable et envahie d’une puissante odeur d’eau de javel ; une autre porte vitrée se découpait dans la paroi d’en face mais aussi une espèce de sas entrouvert donnant vers ce qui semblait un laboratoire. Du sol, Alphonse pouvait apercevoir les étagères étincelantes couvertes de flacons remplis de liquides multicolores. Il se mordit les lèvres lorsqu’il distingua également une large flaque rouge fleurissant au pied d’un lit d’hôpital renversé, à moitié masqué par le vantail blindé du sas.

- Et merde ! songea-t-il assez fort pour que je l’entende.
- T’inquiète, lui répondis-je sur le même ton, personne n’est blessé, mais dépêche-toi bordel !

Le barbon ne perdit pas de temps à se demander d’où lui venait cet acouphène et se pressa d’autant. Il se redressa à peine et jaillit dans la pièce dans un roulé-boulé assez technique pour que ses os de vétéran n’en pâtissent outre mesure. Une seconde plus tard, il se retrouvait étendu sur le dos des « K ». Les garçons pleurnichaient de concert tandis qu’une pluie de balles s’abattaient autour du lit d’acier derrière lequel ils s’étaient abrités. Ils ne furent même pas surpris de l’apparition d’Alphonse. Ils étaient trop occupés à crever de trouille pour ça ; au point de ne même pas comprendre que s’ils ne se bougeaient pas un peu, le verbe crever cesserait bientôt d’être métaphorique.

Tout en déroulant son corps large, Alphonse constata qu’effectivement aucun de ses protégés n’était atteint, mais alors d’où venait ce sang ? Il suivit du regard la traînée écarlate qui s’élargissait vers la droite, dessinant un chemin évident vers une quatrième personne. La mâchoire d’Alphonse tomba quand il comprit que, loin d’être touchée, la jeune fille aux grands yeux noirs qui le fixaient sans ciller, perdait son sang pour une raison parfaitement naturelle : elle était en train d’accoucher.

Là, au milieu du champ de bataille.

De l’autre côté de la pièce, quatre hommes en blanc, leurs visages barrés par des masques stériles, et dissimulés derrière un bureau tiraient sur tout ce qui bougeait, la dame y compris. À ce stade, je ne m’intéressais plus à Alphonse que de façon marginale, trop occupé que j’étais à dévier les balles qui menaçaient la parturiente. Inventer des prétextes plausibles à la dispersion de projectiles sur une portée de deux mètres demandait toute mon énergie, je suis désolé.

Alphonse évalua la situation et se décida en moins d’une seconde. Il se mit brusquement à genoux, visa un des tireurs, celui qui portait des gants de latex maculés de rouge, et lança son couteau. Il fit mouche. La victime s’écroula sur ses comparses consternés qui en lâchèrent leurs armes et le vieux biker se rua en avant pour tracter la fille à l’abri du lit retourné. Dans l’enthousiasme, il fit un véritable infarctus mais je retrouvais assez de disponibilité pour redémarrer son muscle cardiaque déficient et il ne le sentit même pas.

Voilà, c’est bon, maintenant, tu décroches, Papy ! lui enjoignis-je d’un ton ferme.

Alphonse s’ébroua avec agacement comme pour chasser une mouche importune et fit signe à Kamel de secouer ses copains. Ce dernier lui obéit les yeux exorbités.

- À trois ! gronda le vieil homme d’un ton sans réplique.
- À trois, quoi ? gémit Karl qui avait à peine capté qu’on venait lui prêter main-forte.
- On se tire ! traduisit Kamel.
- Un, deux, maintenant ! souffla Alphonse.

Plié en deux, la donzelle hurlante en travers de son épaule, il ne sut jamais que je le soutins tout du long jusqu’au couloir. Kamel et Kévin s’écrasèrent à ses pieds aussitôt. Karl déboula à son tour une seconde plus tard en braillant :

- J’ai pas entendu trois !!

Alphonse ne répondit pas, il refermait le sas sur les tueurs. Les balles ricochaient sur la surface de métal avec un bruit mat et les chocs se répercutaient dans les poignets du vieil homme tandis qu’il bloquait définitivement la serrure électronique en détruisant le clavier numérique à coups de tatane.

Publié dans Nouvelles

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